The Last Man, par John Martin

L'ouvrage n'obtint un certain renom qu'après la mort de son auteur, grâce à un éloge fait par le chevalier de Croft et à une deuxième édition, établie et préfacée par Charles Nodier. L'ouvrage se distingue à la fois thématiquement et formellement. Le thème abordé est la fin de l'humanité, mais Grainville se montre habile : d'une part en reliant l'apocalypse à la genèse du monde, puisqu'on y voit le dernier homme conter ses aventures au premier, Adam ; d'autre part en laissant inscrit le récit dans son époque, puisqu'il s'agit d'une longue prolepse offerte par un esprit céleste au narrateur, et que le texte fait à plusieurs reprises à la France napoléonienne.

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Pour plus d'informations, consultez les pages consacrée à l'ouvrage et à son auteur sur Wikipédia, c'est ici.

J'ai modernisé l’orthographe lorsque c'était nécessaire ; j'ai surtout essayé de rendre les dialogues plus lisibles et de mieux suggérer les différents niveaux d'énonciation, étant donné le nombre de récits rapportés. Malgré une relecture attentive, il peut rester quelques erreurs, et quelques mots ont pu être oubliés par mégarde ; merci de me les signaler.

On trouve une notice biographique et une critique de l'ouvrage dans le Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses de 1863, par Le Roy de Bonneville (p. 87-118). Le livre est en accès libre sur Google books.

Julien Maudoux.

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Je reproduis ici la préface de Charles Nodier, extraite de l'édition de 1811 :

Préface de Nodier

 

Le nom de M. de Grainville m'était connu. J'avais entendu parler de ses talents et de ses ouvrages. Le hasard m'en fit tomber un entre les mains, et je le lus par intérêt pour la mémoire de l'auteur, que de grands malheurs et de grandes vertus recommandent assez aux cœurs honnêtes. La destinée de cet ouvrage m'étonna. Il s'en était écoulé très-obscurément une première édition, sans qu'un seul journaliste, un seul homme de lettres daignât réclamer contre l'indifférence publique. J'en excepte aujourd’hui le savant Anglais qui, dans un passage aussi bien écrit que bien pensé de ses intéressantes remarques sur Horace[1], a parlé depuis de M. de Grainville avec un enthousiasme qui honore également l'un et l'autre. S'il est vrai qu'un Français ait révélé aux Anglais le génie de Milton, M. le chevaler Croft a été dirigé par un sentiment d'émulation bien louable ; et j'aime à croire que notre littérature, qui a d'ailleurs beaucoup d'autres obligations à ses vastes connaissances, lui saura gré de son intéressante découverte.

A force d'y réfléchir, j'ai cru trouver cependant la cause de l'apathie où le Dernier Homme avait laissé ses lecteurs. Publié, peu de temps après la mort de M. de Grainville, sur des papiers assez mal en ordre, et sans aucune de pièces préliminaires, les uns n'y ont vu qu'un roman, et il est tombé dès-lors à la merci d'une classe de lecteurs incapable de le juger ; les autres ont dû s'y apercevoir l'esquisse d'une belle épopée, mais qui, telle qu'elle était, laissait trop à désirer à une critique sévère. Je suis convaincu que si l'on avait dit alors ce qui est parfaitement vrai, que M. de Grainville, qui avait conçu le Dernier Homme à seize ans, s'occupait seulement de son exécution quant une mort terrible l'a frappé ; que l'ouvrage publié n'en était qu'une grande et superbe ébauche qu'il commençait à mettre en vers[2]; et que ce que nous en lisons est tout ce qui reste d'un grand homme méconnu, qu'une affreuse catastrophe a ravi à la littérature ; je suis convaincu, dis-je, que M. de Grainville aurait été alors mis à sa place, que je n'ose pas déterminer, mais qu'une sensibilité éclairée ne fixerait peut-être pas fort au-dessous de celle de Klopstock. On en jugera.

Je le répète, ce n'est pas à moi qu'il appartient de marquer les rangs dans cette grande hiérarchie de la république des lettres, à laquelle je suis si étranger ; mais le sentiment qui me décide, cette espèce de piété qui porte un cœur noble à réclamer en faveur des talents malheureux et oubliés, ce respect qu'inspire le génie modeste et sans gloire, sera mon excuse. Qui pourrait la rejeter ?

Maintenant que je suis presque sûr d'avoir trouvé dans le lecteur de M. de Grainville un cœur qui comprend le mien : Que penseriez-vous, lui dirai-je, de l'homme qui, au bout de tant de siècles que la poésie illustra de tant de merveilles, s'est saisi d'un sujet qui lui était échappé, et qu'elle n'avait pas même semblé prévoir ? Que penseriez-vous de la conception touchante et sublime qui opposerait aux beaux jours de la terre naissante, comme Milton l'a décrite, la décadence et les infirmités d'un monde décrépit, les funestes amours de nos derniers descendants aux délices du paradis terrestre, et la fin de toutes choses à leur commencement ? Que diriez-vous, si le poète avait eu l'art, par un moyen aussi simple qu'ingénieux, de placer toute la protase de son épopée dans un récit fait par le Dernier Homme, au père de toute sa race ; invention qui lutte, à elle seule, suivant moi, avec les plus belles pensées de la muse épique ; et si cette fable surprenante, dont l'exposition même étonne l'imagination, était soutenue, de la manière la plus naturelle et la plus intéressante, par un genre de merveilleux encore unique ? Enfin, que diriez-vous si, dans un essai que son auteur ne destinait pas à la lumière, on remarquait à chaque page les traits les plus heureux, les comparaisons les plus brillantes, les descriptions les plus achevées ? Vous n'auriez cependant qu'une idée assez imparfaite de l'ouvrage de M. de Grainville ; et, encore une fois, on en jugera.

M. de Grainville, qui n'avait encore aperçu que les grands aspects de son poème, y a jeté peu d'épisodes ; mais l'intervention du génie de la terre, si bien liée au sujet, la résurrection de Tibés et de son épouse, et surtout l'hommage rendu par le Dernier Homme à son grand-aïeul, dont il salua le monument au milieu des convulsions de la nature près de périr, me paraissent offrir un genre de beauté qui n'échappera ni aux gens sensibles, ni aux gens de goût. Ce dernier trait me paraît contenir l'éloge le plus délicat, et, si l'on veut, le plus sublime, du prince sous lequel M. de Grainville écrivait. Ce fut, du mois certainement, le plus désintéressé, puisque M. de Grainville consacrait ainsi son admiration pour l'Empereur peu de jours avant de mourir, c'est-à-dire à une époque où l'habitude du malheur lui avait depuis longtemps appris à ne plus rien espérer des hommes et de la fortune.

Il ne se dissimulait pas, sans doute, que la partie romanesque de son poème était un peu inférieure à tout le reste ; il en aurait retranché des circonstances impropres, des détails languissants, quelques pages faibles et quelques phrases outrées. Un écolier le ferait, et j'aurais pu le tenter ; mais j'ai respecté jusqu'aux fautes d'un écrivain tel que lui, et la critique m'imitera.

Puis-je en douter ? M. de Grainville n'a laissé à sa veuve qu'un nom que la postérité aimera peut-être, et je plaide pour son héritage.

 

Charles Nodier

Notes de la préface (Nodier)

[1] - Horace éclairci par la ponctuation, par le chevalier Croft, Paris, Ant.-Aug.- Renouard, 1810, in-8, p.78-79 et 80.

[2] Le premier chant était achevé. Je l’ai eu entre les mains.