
AVANT-PROPOS,
AVERTISSEMENT,
Ou tout ce qu'on voudra.
Les Préfaces sont si décriées, et on les lit si peu, que je crois servir la paresse du Public et la mienne, en me dispensant d'en faire une. J'aime mieux lui laisser la liberté de me rendre justice, que de chercher à surprendre ses suffrages, comme font presque toujours infructueusement les faiseurs d'Avant-propos. Qu'on me juge, mais sans partialité, et qu'il me soit permis de récuser ces Aristarques modernes, qui ont usurpé le droit de déprimer les talents, et ne reconnaissent pour bon que ce qui a été décidé tel à leur Tribunal, où l'envie et l'intérêt pèsent tout au poids de l'iniquité.
J'ose me flatter que Monsieur de Voltaire ne me saura point mauvais gré d'avoir mis son Poëme en vers burlesques. Ce n'est pas faire injure au premier Poëte Français, que de traiter comme on a fait le Prince des Poëtes Latins. J'avoue que Scarron avait des talents que je n'ai pas, et qu'il était en quelque sorte digne de l'original, qu'il a si grotesquement défiguré ; mais quand Virgile eût été plus travesti, sa réputation n'en serait pas moins ce qu'elle est. De même quel que puisse être le succès de cet ouvrage, Monsieur de Voltaire n'en sera pas moins parmi nous, l'honneur des Lettres et de la Poësie.
CHANT PREMIER

Je chante ce fier compagnon,
Petit de taille, grand de nom,
Qui régna par droit de chevance,
Et par droit de conquête en France ;
Qui profita de son malheur
Pour gouverner en bon seigneur ;
Confondit Mayenne et la Ligue,
Et fit à l'Espagnol la figue.
Toi que trahissent les Normands,
Déité qui jamais ne ment ;
Dévoile-nous tout ce mystère,
Comme tu l'as fait à Voltaire ;
Et que la fable à tes discours
Prête de burlesques atours.
Défunt Valois régnait encore,
Mais comme une franche pécore,
Le cagnard laissait à vau-l'eau,
Lâchement voguer son bateau.
Ce n'était plus ce fier gendarme
Qui répandait partout l'alarme,
Quand il allait à l'ennemi
S'escrimant en diable et demi :
Ce n'était plus ce gentilhomme
Semblable aux vieux soudards de Rome
Dont les Polonais enchantés,
Voulurent être régentés.
Tel en second souvent excelle,
Qui chef n'est qu'un Jean de Nivelle.
D'intrépide et brave soldat,
Il devient piètre Potentat.
Sauf son respect le Nicodème
Roupillait sous son diadème,
Tandis que régnaient en son nom
Quatre précurseurs de Chausson,
Car il était, dit la chronique,
Sujet au vice antiphysique.
Messieurs de Guise cependant
Tramaient la ligue sourdement ;
Ligue aussi funeste au royaume,
Que le fut jadis à Sodome,
Le feu qui grilla tant de gens,
Excepté Loth et ses enfants.
Le peuple armé contre son Prince,
Le fit partir pour la province ;
Et les étrangers dans Paris
En sa place furent admis.
Or tout allait de mal en pire,
Lorsque Bourbon ce maître sire,
Dont on vante tant les exploits,
Vint rendre l'espoir à Valois.
Ils marchèrent vers la Courtille,
Ce qui fit trembler la Castille,
Et le Saint Pète de façon,
Qu'il en gâta son caleçon.
Dans Paris, Madame Discorde,
Femme sans miséricorde,
Excitait chacun au combat,
Homme d'épée, homme à rabat ;
Et des hauts clochers de la Ville,
Appelait messieurs de Séville.
Lors le pauvre Valois était
Près Saint-Denis qui recrutait ;
Païens, Huguenots, Hérétiques,
Bons Chrétiens, mauvais Catholiques,
Tous pour l'amour de leurs pays,
D'ennemis devenus amis.
Le preux Bourbon devant eux marche,
Plus absolu qu'un patriarche ;
Tandis que Monsieur Saint Louis
D'un des créneaux du Paradis,
Avec sa lunette d'approche,
Regards paternels lui décoche.
Il savait le brave lorgneur,
Qu'aux siens Henri ferait honneur ;
Mais il lui fâchait qu'à la messe,
Il n'allât, non plus qu'à confesse.
Son dessein était cependant,
D'en faire plus qu'un président ;
Il voulait même, entr’autres, choses
Lui découvrir le pot aux roses,
C'est-à-dire, à propos de quoi
L'esprit doit céder à la foi :
Entreprise épineuse en diable...
Mais Saint-Louis était capable,
Plus qu'aucun curé qui fut onc.
De son observatoire donc,
Il servait à Bourbon de guide,
Et le couvrait de son égide,
Sans néanmoins qu'il en sût rien,
Car cela n'eût pas été bien.
Déjà dans plusieurs escarmouches,
On avait vidé les cartouches ;
Et de Paris jusqu'aux deux mers,
On avait fait maints cris amers ;
Quand Valois qui savait sa langue,
A Bourbon fit cette harangue :
Avouez, mon cher compagnon,
Que nous avons bien du guignon ;
De ma maison on me déloge,
Et vous qu'à bon droit je subroge
Pour me remplacer tôt ou tard ,
On vous traite comme un bâtard.
Le Saint Père au diable vous donne,
Sans prendre conseil de personne,
Il envoie outre ce chez nous
Les Espagnols manger nos choux,
De tous côtés on nous attaque:
Bref, chacun nous tourne casaque.
Vous savez quels sont les Anglais,
Parbleu Cousin ! appelons-les.
Ils ont la plus digne des Reines :
Allez l'instruire de nos peines;
Le coche partira demain,
Profitez-en, s'il n'est pas plein,
Ou bien par les chasse-marées,
Décampez dès cette soirée.
L'argent est bon à ménager,
Lorsque l'on va chez l'Etranger.
Ne blâmez rien en Angleterre,
Louez jusqu'aux pommes de terre
Que l'on y mange par ragoût.
N'allez pas leur dire surtout
Que Paris est plus grand que Londres,
Car ils seraient gens à vous tondre ;
Et puis quand vous seriez tondu,
Chacun vous cracherait au cul.
Suffit : Vous êtes homme sage :
Adieu ; faite votre message."
Il dit ; et le Papa Bourbon
Qui se croyait seul assez bon,
Pour réduire l'Espagne et Rome,
Reniait tout bas, Dieu fait comme ;
Lui qui n'a guère secondé,
Du brave Prince de Condé,
Aux Ligueurs taillait des croupières
Et leur donnait les étrivières.
Enfin il cacha son dépit,
Du mieux qu'il put et déguerpit;
Les soldats pleurent son absence,
N'ayant qu'en lui seul confiance,
Cependant on croit à Paris,
Qu'il est toujours dans le pays.
A son défaut la renommée
Des Ligueurs fait trembler l'armée.
Ils sont déjà loin de Poissy
Le Chef des Huguenots et lui ;
Chef qui se ferait pour la secte ;
Fait écraser comme un insecte,
Henri l'aimait de tout son cœur,
Parce qu'il n'était point flatteur,
Et qu'on l'estimait honnête homme,
Même jusqu'à la cour de Rome.
Bref, pour n'être point trop diffus,
A Dieppe les voilà rendus.
Lors le double traître d'Eole
Retenait les vents en sa geôle
Et ne lâchait qu'un seul Zéphyr
Qui soufflait à faire plaisir ;
Mais à peine a-t-on levé l'ancre,
Que le Ciel se barbouille d'encre.
Borée et son frère Aquilon
Font un terrible carillon.
Sur les flots élevés en buttes
Les marsouins font mille culbutes.
Il tonne, il grêle, et qui pis est,
Le nautier dit son chapelet.
Henri dans ce danger extrême
Avale une tarte à la crème,
Aussi révolu que César,
Qui courant semblable hasard
Sur son bord dansa la gavote
Pour encourager son pilote.
Au même moment le bon Dieu
Assis sur un nuage bleu,
Ordonne à la mer de conduire
Au Port de Jersey le navire,
Et c'est là, grâce à sa bonté,
Que notre héros fut jeté.
A quelques cent pas du rivage,
On trouve un sombre et vert bocage ;
Un roc lui sert de paravent
Contre la marée et le vent.
Tout auprès est une caverne
Plus noire que le sombre Averne
Un sombre vieillard dans ce réduit
Par inspiration conduit,
Pour les péchés et pour les nôtres,
Offrait au Ciel ses patenôtres,
Et de cent coups de martinet
Chaque jour se morigénait,
En attendant la récompense,
Qu'aux bonnes œuvres Dieu dispense.
Le Béat qui de son taudis
Avait commerce en Paradis,
Reconnut Henri quatrième,
Quoiqu'il n'eût pas son diadème.
Il lui présenta du pain bis,
Avec un doigt de rossolis.
La chère était un peu frugale
Pour une personne royale ;
Mais quand le compère avait faim,
C'était une gorge à tout grain.
Après qu'on eut plié la nappe,
On se mit à parler du Pape,
Et du point souvent contesté,
De son infaillibilité.
Mornai très-zélé Calviniste,
Ergo, du Pape antagoniste,
Donnait au diable le prêcheur,
Et son bénévole auditeur,
Qui d'abjurer son hérésie
Sentait une secrète envie.
Ventre saint gris, disait le Roi,
Si j'avais pour deux liards de foi...
Vous en aurez, lui dit l'Hermite ;
Faites usage d'eau bénite ;
Dites aussi, nescio vos
A vos coquins de Huguenots ;
Car Dieu, qui par ma voix s'explique,
Veut que vous soyez Catholique,
Sans quoi le trône des Français
Vous est interdit pour jamais.
Sur toutes choses, je vous prie,
Un peu moins de galanterie.
Je sais qu'après un cotillon
Vous courez comme un postillon,
Ce qui n'est pas des plus honnêtes
Pour un Monsieur tel que vous êtes.
Enfin quand vous serez vainqueur
De la Ligue et de votre cœur ;
Quand pour ravitailler Lutèce
Vous aurez épuisé Gonesse,
Les calamités cesseront,
Et vos yeux se défileront.
Chaque parole qu'il profère
Point Bourbon jusqu'au mésentère.
Il se croit dans le Paradis
Où demeurait Adam jadis,
Où le bon Dieu parlait aux hommes
Avant qu'ils mangeassent des pommes.
Maudit puisse être le gourmand
Qui le premier y mit la dent !
Car comme on voit dans la Genèse,
Nous serions tretous à notre aise,
Vivant à bouche que veux-tu,
Au soleil nous grattant le cul,
Sans que qui que ce pourrait être
Osât jamais le nez y mettre.
Au vieillard les larmes aux yeux
Le preux Henri fait ses adieux.
Et tôt après je ne sais comme
Il eut moins de haine pour Rome.
Mornay, de sa secte entiché,
Parut surpris, mais non touché.
Dieu, selon Monsieur de Voltaire,
Voulait lui cacher la lumière.
Que cela soit ou ne soit point,
Je n'insiste pas sur ce point.
Tandis qu'on s'embrasse et rembrasse,
L'Aquilon aux Zéphyrs fait place ;
Le Soleil quitte son manteau ;
L'alcyon reparaît sur l'eau ;
Et Bourbon à la fin prend terre
Sur les rives de l'Angleterre.
L'heureux changement de l'état
Etonne notre Potentat.
Il ne peut concevoir qu'une Île
Qui n'a jamais été tranquille,
Laquelle a déposé cent Rois
Au mépris des plus sages lois,
Par une femme gouvernée,
S'applaudit de sa destinée.
C'était la Reine Elisabeth
Qui ce grand miracle opérait.
Elle mène l'Europe entière
Comme un enfant par la litière.
Ses peuples regorgent d'écus,
Ni plus ni moins que des Crésus ;
Pour les gagner bravant les ondes,
Ils vont chercher de nouveaux Mondes ;
Ils iraient au diable d'enfer,
S'ils y pouvaient aller par mer.
Londres est une très-grande Ville,
Dont la canaille est peu civile,
Ce qui fait que parfois les gens
Reviennent chez eux sans leurs dents,
Les mandibules détachées,
Et les oreilles arrachées.
A cela près c'est un pays,
Qui, comme on dit, vaut bien son prix.
Le commerçant et le soudrille,
Le docte en un mot, tout y brille.
Je pourrais du gouvernement
Dire quelque chose en passant ;
Mais le sérieux m'embarrasse,
Et ce n'est point ici sa place.
Pour couper court sa majesté
Arrive dans cette cité.
Dont la tour est si renommée,
Qu'on en parle jusqu'en Crimée,
Jusqu'à la Cochinchine aussi,
C'est-à-dire bien loin d'ici.
Le Héros va trouver la Reine
En vieux pourpoint de tiretaine,
Un de ses bas repatassé
et son haut de chausses percé.
De façon que sans sa chemise,
On pouvait voir sa marchandise.
Il parle ainsi qu'un avocat,
Des pressants besoins de l'état,
Et découvre sa grandeur d'âme
Même aux pieds de la bonne dame.
Comment, dit-elle, ce Valois
Qui voulait vous pendre autrefois ;
Cet homme à ma Cour vous envoie,
Et pour le servir vous emploie ?
Oui, dit-il, j'ai pitié de lui,
Il me demande mon appui,
A tout péché miséricorde :
Franchement, j'aime la concorde.
Puisqu'enfin il est repentant,
C'en est assez, je suis content.
Mais laissons-là le pauvre haire,
Et revenons à notre affaire.
Oh ! dit la Reine en souriant,
Vous me ferez auparavant
Le récit des maux de la France.
J'en ai lu quelque circonstance,
Dans les nouvelles à la main ;
Mais on n'y voit rien de certain.
J'attends de votre complaisance
Que vous m'en donniez connaissance.
Ah ? Vous renouvelez mon deuil,
Reprit Bourbon la larme à l'œil.
Que ne puis-je de ma mémoire
Bannir cette cruelle histoire,
Et tous les crimes inouïs
Que ma parentèle a commis.
Mais vous l'avez dans la cervelle ;
Il faut donc que je vous révèle
Ces mystères d'iniquité.
Soit : je dirai la vérité.
Qu'au moins rien ne vous déconcerte,
Car je parle la bouche ouverte.
FIN DU CHANT PREMIER
*
CHANT SECOND
Reine, nous devons tous nos maux
Aux hypocrites, aux cagots.
C'est pour la foi que chacun s'arme,
Et que l'on fait tant de vacarme.
Lequel a droit des deux partis ?
C'est le cadet de mes soucis.
Qu'entre ceux de Genève et de Rome,
L'on se chamaille, l'on s'assomme,
J'y donne mon consentement
Et ne m'en mêle nullement.
Bran de ces prétendus apôtres,
Je m'en tiens à mes patenôtres.
Si la cour eût fait comme moi,
Chacun serait paisible et coi.
Mais les Guises sans conscience,
Voulant se faire Rois de France,
Firent entrer dans leurs desseins
Le bon Dieu, a-Vierge et les Saints.
Le peuple animé d'un faux zèle,
Contre moi tira la guindrelle;
Et dans ce chien de chamaillis.
Bien des bourgeois furent occis.
Mais vous savez ce qu'en vaut l'aune ;
Jadis ces beaux faiseurs de prône,
Sans vos soins diligents, chez vous
Mettaient tout sans dessus dessous.
Maintenant vous voilà tranquille ;
Tout est paisible dans votre Île.
Que Madame de Médicis
N'a-t-elle pris de vos avis !
A propos de cette bonne âme,
C'était la plus méchante femme
Et l'esprit le plus remuant
Que le diable eût fait en volant...
J'en puis parler mieux que personne,
J'ai vécu chez cette Arcabonne
L'espace environ de vingt ans,
Et l'ai connue à mes dépens.
Son époux en son plus bel âge
A passé le sombre rivage ;
On n'a jamais trop su comment
On s'en est douté seulement.
La carogne à ses enfants même
Enviait sceptre et diadème.
C'était un vrai tison d'enfer,
Une Mégère, un Lucifer ;
Lorsqu'un sien fils , étant monarque,
Voulut seul conduire sa barque ;
Sans cesse elle brouillait les dés
Entre les Guises et les Condés ;
Entre les cousins et les frères,
Et les cocus et leurs compères :
Changeant d'avis et d'intérêt,
Comme elle eût changé de bonnet ;
Plus qu'une petite voluptueuse,
Extrêmement ambitieuse ;
A sa secte ne croyant pas,
Et bonnement tournant le sas.
Baste elle rassemblait en elle'
Tous les défauts de la femelle.
Ne vous fâchez point de ce mot,
Il n'est pas pour vous, tant sans faut ;
Car je jure par Sainte Barbe
Qu'il ne vous manque que la barbe.
Et quelque chose avec encor,
Pour valoir votre pesant d'or.
François Deux, l'étoupe au derrière,
Gisait déjà près de son père :
Pauvre enfant que Guise traitait,
Comme un sot, tout Roi qu'il était ;
Charles tremblant sous Catherine,
Jusques à lâcher son urine,
Etait son très-humble valet,
Et voulait ce qu'elle voulait.
Elle sema la zizanie
En tous lieux, et son noir génie
Tant adroitement nous pressa,
Qu'à Dreux maintes peaux on laissa.
Montmorency l'octogénaire,
Quitta perruque en cette affaire,
Si pourtant perruque il avait,
Car je crois que l'on se servait,
En ce temps, pour couvrir la nuque,
De calotte et non de perruque.
Près d'Orléans Guise occis fut,
Comme on tue un lièvre à l'affut.
Mon père qui n'était qu'un Claude,
Pour complaire à cette trigaude,
Dégaina contre ses amis,
Et mourut pour ses ennemis.
Mon oncle Condé ce brave homme,
Dont les exploits tiendraient un tome,
Id est, un livre des plus gros,
(Car il fut un fameux héros)
En faveur de la parentèle,
Voulut bien me prendre en tutelle.
J'étais encore si petit,
Que je faisais souvent au lit
Ce qu'une personne sensée
Fait dans une chaise percée ;
Malgré cette infirmité-là,
Avec lui Condé m'enrôla ;
Et dans son camp, au lieu de bonne
Pour me bercer commit Bellone.
Jà de quatre pieds j'étais haut,
Quand un franc coyon, un maraud,
Un chenapan, un homme à pendre,
A rouer, à réduire en cendre,
A crucifier, à éventrer,
A tenailler, mordre & châtrer,
Traîtreusement sans dire gare,
Envoya mon oncle au Ténare.
O champ de Jarnac ! champ maudit,
Qui n'abîma point ce bandit !,
Puisses-tu jamais ne produire,
Rien de bon à brûler ni cuire !
Après ce malheur Coligny
Fut mon Mentor et mon appui.
Tredame, c'était un compère
Qui maniait une rapière,
Un cimeterre, un espadon
Mieux que le bretteur Sarpédon.
Aussi, Princesse, je l'avoue,
Si de mon adresse on me loue ;
Si sous les coups que j'ai donnés,
Maint bourgeois a perdu son nez,
C'est de Coligny, de lui-même,
Que je tiens ce talent suprême.
Médicis enfin se lassant
De combattre inutilement,
Retira toutes ses cohortes,
Et de Janus ferma les portes,
Ce qui Veut dire en bon français,
Qu'avec nous elle fit la paix ;
Mais ce fut, mort de ma vie,
A la façon de barbarie.
Coligny dans la bonne foi,
Jusqu'au Louvre vint avec moi.
La Reine affectant grande joie,
Pour m'embrasser ses bras déploie,
Et de ses yeux sur mon museau,
Laisse choir quatre gouttes d'eau ;
Puis d'une manière charmante,
Mon Mentor elle complimente,
A quoi répond le bon Seigneur,
Je suis votre humble serviteur.
Pour trouver phrase tant honnête ,
Il ne se grata point la tête :
Aussi le compère avait-il
L'esprit extrêmement subtil ;
Et plus encore qu'il ne l'annonce
Par cette agréable réponse.
Mais voici bien du rabat-joie ;
J'épouse la sœur de Valois,
Et le premier jour de ma noce,
Maman meurt d'une mort précoce,
Il ne faut pas rêver beaucoup,
Pour soupçonner l'auteur du coup ;
Médicis est une commère
Qui..., mais chut, aussi bien ma mère,
N'en est ni plus ni moins là-bas,
Ou là-haut, il n'importe pas.
Cependant la méchante bête
Nous fait préparer une fête,
Où maint bourgeois décédera,
Sans qu'on lui dise un libéra.
Cette nuit fatale arrivée,
Dont ma secte s'est mal trouvée,
L'Amiral bien étendu
Reposait son individu
Et ronflait, comme la pédale
De l'orgue d'une cathédrale.
Soudain un horrible sabbat
Le fait sortir de son grabat.
Il met la tête à la fenêtre "
Et voit des gibiers de Bicêtre,
Qui, sans rime, ni sans raison,
Mettent le feu dans fa maison ;
Et d'une façon peu chrétienne
A ses gens percent la bedaine.
Puis du nom fameux de Gaspar
L'air retentit de toute part.
Le jeune Teligny son gendre,
Sous son balcon vient l'âme rendre.
Que diable faire à tout ceci,
Dit tout bas le preux Coligny ?
Je vois qu'à la fin de l'histoire,
Il me faut passer l'onde noire;
Soit : libéra nos , Domine ,
M'y voilà tout déterminé.
Déjà l'assassine cohorte,
Heurte rudement à sa porte ;
1l ouvre avec cet air bénin,
Ou plutôt cet air patelin
Qu'on emprunte afin de séduire
Les gens qui cherchent à nous nuire.
Messieurs, dit-il, que voulez-vous?
A ces mots, les voilà tretous
Plus muets que poisson d'eau douce.
Chacun pourtant son voisin pousse,
Et l'excite à faire le coup ;
Mais au diable qui s'y résout.
Celui-ci lui baise la patte,
Celui-là le lèche et le gratte;
L'autre tombant à ses genoux,
Lui dit, Papa, pardonnez-nous.
Va, répond-il, la paix est faite,
Pourvu que vous fassiez retraite,
Car de reposer un petit,
Je me sens encore appétit;
Il faut que j'en prenne ma dose,
Ou demain je serais tout chose.
Adieu, Messieurs, jusqu'au revoir,
Je vous souhaite le bon soir.
Il allait refermer sa porte,
Quand Besme, que le diable emporte.,
Montant les degrés trois à trois,
Quatre à quatre même je crois,
Leur crie, où courez-vous, canaille?
Coyons, plus coyons que des cailles,
Marauds, qui trahissez le Roi,
Venez prendre exemple de moi.
Aussitôt il tire sa dague,
Et sur Coligny, zague, zague;
Il frappe, le larron qu'il est,
Les yeux clos, sans voir ce qu'il fait
Craignant que son auguste face
Salir ses chauffes ne lui fasse.
Bref le vénérable barbon
Fut accroché par le Jambon
Sur un roc, voisin de Montmartre,
Plus haut que les clochers de Chartres,
Et son chef au Louvre porté
Pour récréer-Sa Majesté.
Après cette chienne de scène,
Qui ne fut ni belle, ni saine,
Des milliers de bons citoyens,
Des grands, des petits, des moyens,
Furent mis en capilotade,
Et d'autres mis en marmelade ;
Marmelade soit, néanmoins
Ils n'en trépassèrent pas moins.
Guise, pour venger son cher père,
Plus animé qu'une vipère
Que l'on excite dans son trou,
Court, hurlant comme un loup garou ;
Et frappant d'estoc et de taille,
A bien des gens gâte la taille.
Nevers, Gondy, Tavanne aussi,
Les boutefeux de tout ceci,
L'épée au point prêchent l'exemple,
Par une occision très-ample.
Finalement dans tout Paris,
Frères, sœurs, femmes et maris,
Sont par cette race maudite
Envoyés dormir au Cocyte ;
Et pendant qu'on travaille ainsi,
Les Prêtres font xi xi xi xi,
Comme on fait aux chiens dans la rue,
Lorsque l'un sur l'autre se rue.
Malepeste, quels gens rusés !
Fiez-vous-y, si vous l'osez,
Renel et Pardaillan ensemble,
(Ils étaient amis ce me semble)
Eurent aussi leurs passeports,
Pour aller vivre chez les morts ;
Et Guerchy, ce très-vaillant homme,
Qui par douzaine les assomme,
A coups de poing et de gourdin,
Tomba mort avec Lavardin.
Les fiers Marsillac et Soubise,
Courant comme le vent de bise,
Vinrent choir sous les yeux du Roi,
Criant, on m'assassine, à moi.
Mais Catherine et le beau Sire,
De leurs clameurs ne font que rire ;
Ils leur font même le niquet,
Ce qui n'est pas un fort beau trait.
Ce n'est pourtant point là le pire,
Le Prince que la rage inspire,
Envoyé aux pauvres Huguenots
De son mousquet force lingots
Et Monseigneur Henri-Troisième,
A ses côtés faisait de même.
II est cependant assez doux ;
Mais il hurlait avec les loups.
Plusieurs, sans tambour ni trompette
Prirent la poudre d'escampette ;
Ils agirent en gens prudents,
Car ils n'auraient plus mal aux dents,
Caumont et sa progéniture
Dormaient sous même couverture ;
On le dépêcha comme autrui,
Et l'un de ses fils avec lui ;
L'autre, grâce au large derrière
De ce bon et malheureux père,
Sous lequel il se retrancha,
D'aucun coup on ne le toucha.
Lors, j'étais logé dans le Louvre,
(J'eusse été beaucoup mieux à Douvres)
Au bruit enfin qu'on fait chez moi,
Je m'éveille tout en émoi ;
J'appelle mes valets, je sonne;
Mais du diable, s'il vient personne ;
Eh, comment seraient-ils venus ?
Ils avaient dit leurs in manus.
Après cet affreux tintamarre,
Un coquin, de son jacquemart
Sans respect, me coupait le cou,
Si l'on n'eût arrêté le coup.
De frayeur j'en eus la migraine
Au moins une bonne semaine.
Qui m'eût à l'instant approchés
Certes le nez se fût bouché,
Il faut pourtant que je confesse,
Que du plat des mains sur la fesse,,
Je reçus de ces forcenés
Vingt horions bien assénés.
C'était en occurrence telle,
Une petite bagatelle,
Quoiqu'il ne fût pas trop décent
De fesser homme de mon rang.
Cependant la bonne Princesse
Que le diable souffle sans cesse,
De ma personne s'assura,
Et par son ordre, on me coffra.
Mais Votre Majesté s'ennuie
D'entendre telle litanie ;
Ma foi, pour ne vous pas mentir,
Il me tarde aussi de finir.
Vous saurez donc que Catherine
Partout fit jouer cette mine
Où passèrent si mal leurs temps
Tous nos amis les Protestants.
FIN DU SECOND CHANT
*
CHANT TROISIEME
Lors que l'on fut bien las d'occire,
Le peuple convertit son ire
En regrets, et pro defunctis,
Il dit force de profundis.
Bientôt après le Roi lui-même
De tristesse devint tout blême,
Et je gagerais un écu,
Qu'il leur eût soufflé dans le cul,
S'il eût pu, par cet acte pie,
Les rappeller tous à la vie.
Il fut pris du mal Siamois,
Puis au bout de vingt-quatre mois,
Ce qui veut dire double année,
Il termina fa destinée.
J'étais présent quand il mourut :
O mon Dieu, comme il me parut !
J'en eus le frisson. Notre-Dame !
Qu'on est vilain quand on rend l'âme !
II roulait de gros yeux ardents,
Et nous morguait, grinçant les dents
De même qu'un damné qui souffre
Dans l'huile bouillante et le soufre.
Or donc, mon cousin Charles-Neuf,
Lequel était encor bien neuf,
Autant par l'esprit que par l'âge,
Déguerpit enfin l'héritage,
Soudain Valois, du fond du Nord,
Vint gaiement remplacer le mort,
Les Polonais à leur couronne
Avaient proclamé sa personne,
Parce qu'en honnête garçon,
II maniait l'estramaçon ;
Et que sans faire le bravache.
Il abattait nez et moustache
A quiconque osait contre lui
Tirer lame de son étui.
Cette tant belle renommée
S'est évaporée en fumée.
Dès que de sa succession
Valois fut en possession,
Il devint, excusez la phrase,
De bon soldat, un franc viédase.
Ses favoris dans sa maison,
Le retenant comme un oison,
Aux dépens de toute la France,
S'engraissaient et faisaient bombance ;
Et tout allait cahin-caha,
Quand Guise au peuple se montra.
Quoiqu'il eût balafre à la face,
Il n'avait pas mauvaise grâce ,
Et sans ce défaut il eût fait
Un Gentilhomme très-parfait,
Sur toute chose il était brave,
Plus que ne fut Auguste Octave,
Qui de ses jours ne se battit, :
Et jamais ne s'en repentit.
Guise, pour enjôler son monde,
Avait science très-profonde ;
Il visait, le maître éveillé,
A jouer au Roi dépouillé :
C'est pourquoi de sa courtoisie,
Il honorait la bourgeoisie ;
Touchait la main à celui-là,
À celui-ci, comment vous va
Sur les gifles baisait cet autre,
Votre valet et moi le vôtre.
Moyennant ce, le balafré
D'un chacun était adoré.
Dés qu'il crut son pouvoir sans bornes
Aussitôt il montra les cornes ;
Cornes prises figurément,
Car je ne fais pas autrement
S'il était de la confrérie,.
Dont on est quand on se marie ;
Que cela soit ou ne soit pas,
Ma foi les fesses je m'en bas.
Il fit cette diable de ligue,
Qui nous donna bien de l'intrigue,
Et nous donne encore aujourd'hui
Bien du grabuge et du souci.
Valois, comme une franche outarde,
S'amusait lors à la moutarde
Avec deux ou trois débauchés
Enclins à certains gros péchés
Qu'on punit du fagot en France,
Et qu'on autorise à Florence.
Mons la Balafre, cependant
Plus respecté qu'un Intendant,
Nous donnait du fil à retordre ;
Mais Valois ne voulant pas mordre,
Je m'offris à mordre pour lui,
Et j'allais prendre son parti,
Quand le double traître de Guise
Entre nous opposa l'Eglise,
Et fit faire défense au Roi
D'avoir nul commerce avec moi.
L'innocent craignant le Pontife,
Lequel était un vrai Calife,
Par complaisance m'envoya
Faire lanlaire : tant y a
Qu'à la parfin nous guerroyâmes,
Et de grand cœur nous nous gourmâmes,
Joyeuse, ce gentil mignon,
Des plaisirs du Roi compagnon,
Contre moi grillant de se battre,
Un membre ou deux comptait m'abattre.
Il se trompa : Vous le savez.
Non, dit la Reine, poursuivez :
Ce que j'en sais n'est pas grand chose ;
Faites-moi le récit, pour cause,
De ce fameux jour de Coutras
Où vous coupâtes tant de bras,
Tant d'oreilles et tant d'échines ,
Tant de nez, tant d'autres machines ;
Finalement, n'oubliez pas
Du sieur Joyeuse le trépas,
O ça vite que l'on déguise,
Ou sinon par-delà Pontoise
Je vous... ah ! répondit Bourbon,
Tirant humblement le guibon,
Et jouant des doigts sur son feutre,
Qui n'était pas celui d'un pleutre,
Princesse , ne vous fâchez point,
Vous saurez tout de point en point.
Or écoutez-bien : ce Joyeuse
Dont le sort vous rend curieuse,
Etait un fort joli garçon,
Quoiqu'un peu puant le chausson.
Le Roi l'aimait plus que sa femme,
Ce qui fâchait la bonne Dame,
Si, qu'elle en fit à la maison,
Souventes-fois beau carillon.
Elle aurait mieux fait de se taire,
Et l'en coiffer d'une paire,
Sans faire le semblant de rien,
Comme font les femmes de bien ;
Mais elle n'était pas coiffeuse.
Pour revenir donc à Joyeuse,
Il était, ainsi que j'ai dit,
Joli garçon sans contredit ;
Et si la mort, cette camuse,
Laquelle à nous happer s'amuse,
N'eût point envoyé le giton
Au sombre manoir de Pluton,
Il eût peut-être égalé Guise
Avant d'avoir la barbe grise.
Entourés de jeunes soldats
Montés sur de fringants dadas,
Nous vîmes ce, beau Gentilhomme,
Plus fier qu'un Empereur de Rome,
Caracolant venir vers nous,
Pour se faire rouer de coups.
Ils étaient en chemises blanches,
Avec leurs habits des dimanches,
De beaux joyaux, des bracelets;,
Des fontanges à leurs collets,
Et sur leurs flamboyantes lames,
Les chiffres dorés de leurs Dames,
Baste, ils parurent à Coutras
Aussi parés que le bœuf gras.
Nous autres en chemises sales,
Et pourpoint des piliers des Halles,
Montrant le cul de tout côté,
Et marchand sur la chrétienté ;
Immobiles comme des termes,
Nous les attendions de pied fermes.
Ils vinrent, les pauvrets, hélas !
Se frotter à nos coutelas.
Dieu sait de combien de blessures,
Nous leur couvrîmes les fressures,
Et combien, sur les déconfits ,
Mes soldats firent de profits.
Cependant j'avais grande envie
Qu'à Joyeuse on sauvât la vie :
Je criais, ne le tuez pas ;
Coupez-lui seulement un bras ;
Mais à l'appétit de ses nippes,
Ils lui firent sortir les tripes,
Et mirent son corps aussi nu
Qu'en ce monde il était venu.
Ventre-saint-gris quelle victoire !
Qu'elle m'a causé de déboire !
Ceux qu'à l'ombre nous avons mis
Etaient nos cousins, nos amis.
Valois, après ce coup sinistre,
Fut traité des siens comme un cuistre,
Comme un benêt, un innocent,
Un sot, en un mot, comme en cent.
Le Seigneur de Guise, au contraire,
Plus révéré qu'un reliquaire,
Idole du peuple badaud,
Marchait dans Paris le nez haut.
Il venait de venger Joyeuse
D'une façon bien glorieuse.
Jésus ! quel chien de boulevari
Il causa dedans Vimori,
Et dans Auneau contre nos reîtres
Qu'il envoya voir leurs ancêtres.
Enfin las de ses airs fendants,
Valois voulut montrer les dents.
Et châtier le téméraire ;
Mais il ne fit que de l'eau claire.
On sonne fur lui le tocsin,
Tout bourgeois devient fantassin ;
On dépouille messieurs ses gardes
De leurs tranchantes hallebardes,
Puis on les renvoie au palais
A coups de manches de balais;
Et mon très-honoré beau-frère,
A coups de pieds dans le derrière,
II en fut quitte à bon marché ;
Car si Guise, un mot eût lâché,
Le pauvre Sire était de Flandre ;
Mais la fuite il lui laissa prendre,
Content de l'avoir fait courir
Et qu'il eût, eu peur de mourir.
Guise, comme le dit Voltaire,
Attenta trop dans cette affaire,
Ou trop peu, je le crois aussi,
Il fut trop ou trop peu hardi.
Cependant, aidé des Ibères,
Des Romains et de ses deux frères,
Adoré du Peuple Français ;
En un mot, fier de ses succès,
Il crut fous le sale capuce,,
De Récolet ou de Piquepuce,
Mettre le Roi dans un couvent,
Comme nos Rois de ci-devant.
Qu'on couvrait d'un habit de moine
Pour usurper leur patrimoine,
Et qui de. Princes étaient faits
De misérables Frères lais.
C'est pour son nez que le four chauffe,
Aujourd'hui l'on n'est pas si gosse.
Dans ce temps-là Monsieur Valois
Venait de convoquer à Blois
Les Etats Généraux de France.
Princesse, vous savez je pense,
Ce que c'étaient que ces Etats,
Et quels furent leurs résultats :
On y fit sermons pathétiques
Touchant les misères publiques,
Et ces fermons, qu'ont-ils produit ?
Rien autre chose que du bruit.
Guise, en croc, en vrai la Tulipe,
Vint aux Etats fumant fa pipe,
Et sans désuler son bonnet,
Auprès du Roi s'assit tout net,
Quoi, ce visage à chier contre,
Ce traître à ma barbe se montre,
Dit tout bas notre ami Valois
De rage se rongeant les doigts
Sans doute il me prend pour un blaise
Ah ! palsambleu j'en suis bien aise,
Holà, Gardes du Corps, holà,
Eventrez-moi ce drôle-là.
Il dit. Subito trente épées
Dans ses boudins furent trempées.
Guise encore après son décès ,
Etait plus fier qu'un Ecossais ;
Et sa figure de Carême
Faisait trembler Henri troisième.
Dès que ce bruit se répandit,
Dans tout Paris on n'entendit
Que désolations et plaintes
De filles et femmes enceintes,
De jouvenceaux, de vieux paillards,
Et de pucelles et de cornards,
De robins, de soldats, de moines,
De maquereaux et de chanoines;
Enfin tout Parisien,
Soit fripon, soit homme de bien :
Car il était aimé, le Sire,
Cent fois plus qu'on ne saurait dire.
Mons Mayenne en drap de pagnon,
S'étant frotté l'œil d'un oignon,
Amèrement pleure son frère,
S'arrachant toute la crinière,
Et fait retentir de ses cris
Tous les carrefours de Paris.
Les Ligueurs touchés de sa peine,
Le proclament leur Capitaine,
Ainsi qu'était le Trépassé
Qui requiescat in pace.
Le voilà consolé, le drôle ;
Il n'a pas mal joué son rôle,
Aussi c'est un maître câlin ;
Le diable n'est pas plus malin.
Si feu Guise fut un grand homme,
Mayenne en est le second tome,
Et pour n'en rien dire de plus,
C'est, je crois, jus ver ou verjus.
Le jeune Chevalier d'Aumale,
Garçon méchant comme la gale,
Sous ses étendards nous poursuit,
Dont assez souvent il nous cuit.
Ce n'est pas tout, le Roi Philippe,
Votre ennemi, nous prend en grippes
Protège Mayenne et les siens ,
Et nous traite comme des chiens ;
En un mot, l'Evêque de Rome,
Moins humain que le dernier homme
(Le diable puisse l'emporter)
Fournit verges pour nous fouetter.
Du Nord au Midi de l'Europe,
Le guignon après nous galope.
Finalement, le pauvre Roi,
Haï de tous, hormis de moi,
M'écrivit de Tours en Touraine
Missive de regrets si pleine,
Et d'assurances d'amitié,
Que j'ai tout grief oublié.
Sans aucun train, sans équipage,
Je fus le voir, suivi d'un Page.
Nous nous léchâmes nos morveaux,
Pleurant tous deux comme deux veaux,
De nos pleurs inondant nos fraises
Tant de nous voir nous étions aises.
Après les premiers compliments,
Et deux cent trente embrassements,
Après avoir mangé trois tranches
De la plus dure des éclanches,
El bu six coups de Bourguignon
Qui sentait un peu le bouchon,
Je lui dis, ça parlons d'affaire ;
Mais non, il n'est pas nécessaire,
Sans perdre de temps en pourparlers
D'ici songeons à détaler.
Allons à Paris vite et preste,
Allons jouer de notre reste.
Mon sentiment fut approuvé.
Et Valois s'en est bien trouvé.
Ainsi Bourbon fit sa harangue,
Je ne sais pas en quelle langue ;
Si ce ne fut point en Français,
Ce fut petit-être en Béarnais ;
Car nul n'en savait l'idiome,
Comme ce brave Gentilhomme.
Cependant las de haranguer,
Il lui tarde fort de voguer,
Pour revoir Lutèce la belle.
Et punir son peuple rebelle.
Mille Anglais bientôt sur ses pas
Iront jouer des coutelas.
Les gars n'aiment que plaie et bosse,
Et vont aux coups comme à la noce.
Le Comte d'Essex, qui jadis
Sur les Espagnols prit Cadix,
Qui leur donna les étrivières
Sur la plus grande des rivières,
Ou pour parler plus congrument,
Dessus le liquide élément ;
Enfin finale ce pauvre Comte
Auquel on donna son décompte,
En lui faisant sauter le chef,
De ce détachement est chef.
Henri pourtant en redingote
N'attend plus que le Paquebote.
Allez, lui dit Elisabeth,
Puissiez-vous comme un chien barbet,
Etriller ce vilain Philippe
Avec sa grosse et grande lippe,
Et le Pontife Exfranciscain,
Qui n'est, entre nous, qu'un coquin.
Allez, vous dis-je, à leur rencontre,
Et Dieu vous garde de malencontre :
Mes Soldats partout vous suivront,
Et, s'il le faut, au diable iront.
Si vous vainquez Mayenne, Rome
Vous tiendra pour un galant homme ;
Vainqueur, Sixte vous bénira ;
Vaincu, le fat vous damnera.
FIN DU TROISIEME CHANT
CHANT QUATRIEME.
Tandis qu'avec la Reine il cause
De chose et d'autre, et d'autre chose,
Valois constipé de frayeur,
L'accuse de trop de lenteur,
Et souhaite pis que la teigne
A cette Princesse Brehaine ;
(Car elle l'était, ce dit-on)
Il donnerait un ducaton
Pour n'avoir point de son beau-frère
Fait un Plénipotentiaire.
D'Aumale, Nemours et Brissac,
Saint-Paul, la Châtre, Canillac,
Tous plus mauvais que chenilles,
Sont sans cesse après ses guenilles.
Entre eux était un fantassin,
Ci-devant Frère Capucin,
Nommé le Comte de Bouchage,
Tantôt libertin, tantôt sage,
Aujourd'hui moine pénitent,
Demain un soudard combattant.
Mais de cette clique brutale,
Le plus brutal était d'Aumale.
Avec son sabre à deux tranchants,
Faisant trembler les plus méchants,
Sur tout ce qu'il rencontre il frappe ;
Malheur à celui qu'il attrape.
Tel dans ses appétits gloutons
Un loup fondant sur des moutons ;
Ou pour rimer, telle-une louve
En étrangle autant qu'elle en trouve.
Un jour, non c'était une nuit,
Il pensa prendre au saut du lit
Valois dormant dessous fa tente,
Mais heureusement sa servante
Qui lui repassait un rabat,
Le tira hors de son grabat.
Le diable, vous berce, dit-elle !
Vite, enfilez-moi la venelle.
Il est bien tems de roupiller,
L'Ennemi va vous houspiller.
Vraiment, vous n'avez qu'à l'attendre,
Ce d'Aumale est un gars fort tendre.
A ces mots, tout transi de peur,
Il se fauve comme un voleur,
Sans bas, sans souliers, sans culotte,
Son crâne pelé, sans calotte,
Et son gros fessier découvert,
Enfin comme un sot pris sans vert.
Pendant qu'il gagnait à la toise
Vers Saint-Germain ou vers Pontoise,
Ses Soudards encore endormis,
A mort par milliers étaient mis.
Jà l'aurore débéginée
Montrait sa face safranée
Et Mornai précédant Bourbon,
Découvrait déjà Montfaucon
Et les clochers de Notre-Dame ;
Ce qui lui réjouissait l'âme.
Mais bientôt au bruit qu'il entend,
Il suspend sa joie un instant,
Puis faisant trotter sa cavale,
Il vit ce joli bacchanale,
Et les Soudards de ses amis,
Dont on faisait d'affreux salmis ;
Quoi ! s'écria-t-il en aveugle,
Ou pour mieux dire en bœuf qui beugle,
Souffrirez-vous, chers Compagnons,
Qu'on vous ampute les rognons,
Sans leur rendre au moins la pareille,
Et leur abattre quelque oreille ?
Que va dire le Roi Henri,
Qui boit le Rogum près d'ici ?
Au nom d'un si grand personnage,
Tout le monde reprend courage,
Et de plaisirs les grenadiers
Jurent comme des charretiers,
Jerni, ventre, tête, mort, sacre
Avec leurs bonnets en polacre,
Frappant du pied, grinçant les dents,
Ils font peur aux petits enfants.
Cependant le Roi de Navarre,
Soudain parait dans la bagarre,
Aussi brillant, aussi vermeil,
Que lampe brûlant au Soleil.
Allongeant son menton de grue,
Sur les escadrons il se rue ;
Et faisant d'affreux moulinets,
Fait sauter nombre de bonnets ;
Bonnets ou chapeaux , peu m'importe.
Bref, il toucha de telle sorte
Que l'Ennemi montrant le cul
De vainqueur devient le vaincu.
D'Aumale se casse la tête
A force de crier, arrête.
Au diable qui veut l'écouter,
Henri vous les fait tous trotter
Plus vite que chevaux de poste :
Aucun ne garderait son poste
Pour quatre-vingt-dix carolus,
Et pour quatre-vingt-dix fois plus.
D'Aumale, entraîné par sa basque,
Malgré ses dents, court comme un basque,
Tel d'un mont plus haut qu'un clocher,
Miné des eaux, tombe un rocher.
Le drôle pourtant se dégage"
D'un coup de poing sur le visage'
Qu'il donne à celui qui le tient,
Et comme un enragé revient.
Il en mit encore vingt à l'ombre ;
Mais bientôt accablé du nombre ,
La camarde allait le faucher,
Et d'ici-bas le dénicher,
Quand la discorde, vieille gaupe,
Plus noire, dit-on, qu'une taupe,
Se mit au-devant de la faux,
Et fit porter le coup à faux.
Ce ne fut point par bonté d'âme
Que la Pèque allongea sa trame,'
C'est qu'elle avait besoin de lui
Pour faire le malheur d'autrui.
A Paris elle le ramène
Avec-six trous à la bedaine,
De coups, d'épée et pistolet.
Elle le panse du secret,
Disant, si j'ai bonne mémoire,
Quarante-deux mots de grimoire
Qui des abîmes de l'enfer,
Malgré Cerbère et Lucifer ,
Rendraient un homme à la lumière
Dans sa forme et vigueur première.
Mais tandis qu'à cet éventé
La Discorde rend la santé,
Elle lui souffle une étincelle
De son esprit, et l'ensorcelle,
Ainsi l'on sauve un garnement
Pour s'en servir utilement ;
Et puis après, on l'abandonne
A ce que le fort en ordonne.
Si sotte est la comparaison,
Qu'on la siffle, on aura raison.
Henri parfaitement ingambe,
Joue à merveille de la jambe
A la poursuite des vaincus,
Qui n'ont pas la goutte non plus,
Et qui le gagnant de vitesse,
Vont se renfermer dans Lutèce,
(Lutèce ou Paris, c'est tout un,
Ainsi que tabac ou pétun).
De tous les côtés il les assiège
Comme des renards pris au piège.
Valois revenu de sa peur,
Presse canonnier et sapeurs,
Et plus fier que feu Mardochée
En sifflant monte la tranchée.
On leur donne assaut sur assauts
Si que l'assiégé fort penaud,
Rebuté de la canonnade,
Est prêt à battre la chamade.
Mayenne, en ce péril pressant,
Se pendrait, s'il était décent
Qu'un Gentilhomme mourût comme
On fait mourir un vilain homme ;
(Vilain homme veut dire ici
Un homme du néant sorti ;
Car à la lettre un gentilhomme
N'est pas plus gentil qu'un autre homme
Et j'en ai connu plus de cent
Très-vilains, soit dit en passant).
Mayenne donc se désespère :
L'un lui redemande son père,
L'autre son fils, et celle-ci
Lui redemande son mari.
En un mot, las d'entendre braire,
Il allait tout envoyer faire...
Quand dame discorde à propos
L'aborde et lui tient ce propos.
II faut que tu fois un grand claude
De craindre un peuple qui clabaude !
Eh ! morbleu ne fais-tu pas bien
Qu'il crie et s'apaise de rien ?
Dis que je suis une bégueule,
Si je ne lui ferme la gueule,
Et s'il ne t'est pas-désormais
Aussi dévoué que jamais.
Subito l'horrible pucelle,
Secouant son infecte aisselle,
Plus rapidement qu'une éclair,
Prend son vol et se perd dans l'air.
Partout où passe la carogne,
De son haleine de charogne,
On est si fort empuanti,
Que nez d'homme onc n'a rien senti,
Dont le fumet abominable
A telle odeur fût comparable.
Le blond Phébus d'horreur s'enfuit,
Et se met en bonnet de nuit ;
Et la foudre tellement gronde,
Qu'on croit que c'est la fin du monde.
La guenon aux pendants tétins
Arrive au pays des Latins.
Elle découvre cette ville
Jadis en héros si fertile.,
Aujourd'hui fertile en cafards,
En faux dévots, aux teints blafards
En animaux porte soutanes,
Qui nous mènent comme des ânes.
Mais taisons-nous trop gratter cuit,
Ainsi que trop babiller nuit.
Si l'on veut voir leur caractère,
Qu'on lise Monsieur de Voltaire ;
Il les peint comme des vauriens ,
A sa peinture je m'en tiens.
Lors le garde pourceaux d'Ancône
De Saint Pierre occupait le trône.
L'honnête homme que c'eût été,
S'il eût eu de la probité !
Sous son empire despotique,
La redoutable Politique
Commandait dans le Vatican
Et sur les bords de l'Eridan.
C'est une cauteleuse gouine
Qui si bien lès gens embabouine,
Qu'elle redresse les plus fins,
Et parvient toujours à ses fins.
A peine de son œil oblique,
La discorde eut frappé l'optique,
Elle court lui sauter au cou,
En souriant ; puis tout à coup,
Prenant le ton de Jérémie,
Ah ! dit-elle, ma bonne amie,
Tout mon crédit est à veau l'eau ;
On a déchiré le bandeau
Dont je fascinais la visière
De la gent crédule et grossière.
Qu'est devenu le temps, hélas !
Où l'on prônait mes almanachs ?
Où le Potentat, franche dupe,
Me baisait le bas de la jupe,
Et m'eût, si je l'eusse voulu,
Avec respect baisé le cul ?
Qu'est devenu ce temps, ma bonne,
Où je donnais une couronne,
Et l'ôtais, quand il me plaisait,
Comme j'eusse ôté mon toquet ?
En vain je fulmine, je crie,
Le Sénat Français me décrie,
Et me fait passer en tous lieux,
Pour un monstre pernicieux,
Pour une fille sans vergogne,
En un mot, pour une carogne
Méritant le cheval de bois :
Il s'en mordra morbleu les doigts,
Le scélérat, le chien, l'infâme,,
Ou je ne suis pas une femme.
Allons en France sur les Rois
Reprendre nos anciens droits.
Elle dit, et crac, d'un coup d'aile
Part plus vite qu'une hirondelle.
Loin des superbes Prestolets,
Des faux diseurs de chapelets,
Des Prélats à grand équipage,
loin du fracas et du tapage,
Notre mère Religion,
Évitant la contagion,
Vit dans une retraite obscure,
De nulle chose n'ayant cure
Que d'adresser au bon Jésus
Soirs et mâtin ses Oremus.
Elle pétillait en son âme,
Pour Henri d'une sainte flamme.
Elle sait bien qu'un jour viendra
Qu'en ses bras elle le tiendra
Et qu'ils seront unis ensemble.
Et pendant qu'elle fait des vœux
Pour hâter cet instant heureux !
La politique et la discordé,
Toutes deux sans miséricorde,
La surprennent en trahison
Étant alors en oraison,
Et lui dérobant sa chasuble,
La politique s'en affuble,
Puis en cet équipage-là,
La gouge en Sorbonne s'en va.
C'était en ce savant concile
Que l'on expliquait l'Evangile,
En grec, en latin, en gaulois,
En toute sorte dé patois ;
Que par de doctes commentaires
On obscurcissait les saints pères,
Et qu'on les faisait radoter
En voulant les interpréter.
Du monstre la voix emmiellée
Prévient les cœurs de l'assemblée.
Elle offre aux uns de beaux rochets.
Aux autres des colifichets ;
A ceux-ci, pour faire gogailles,
Ducats et louis de Noailles ;
A ceux-là des coups de bâton,
Pour leur faire entendre raison.
On dispute, on clabaude, on baille,
On s'injurie, on se chamaille.
Alors un vieux, au nom de tous,
Fort incommodé de la toux,
De la gravelle et de la goutte,
Crie, en crachant, que l'on m'écoute.
A ces mots un Docteur fit chut,
Et le consistoire se tut.
C'est l'Eglise, dit le Druide,
Qui de l'état des Rois décide,
Qui seule a le droit absolu
De leur donner du pied au cul.
Or il est sûr que de l'Eglise
L'autorité nous est commise,
Ergo, du rôle de nos Rois,
Nous pouvons effacer Valois.
Après cet argument baroque,
Chacun opine de la toque.
La discorde, qui fait le chic,
En fait faire un décret public ;
Et soudain d'Eglise en Eglise
Vole annoncer cette sottise.
Sous le haillon de Saint-François
Elle fait entendre sa voix,
Et s'adressant à la moinaille,
Oyez-moi, dit-elle, canaille.
Le bon Dieu qui m'envoie ici,
M'a mis en main ce sabre-ci
Pour étriller les Hérétiques,
Hâtez-vous, quittez vos boutiques ;
Prêchez comme article de foi,
Qu'on peut couper la gorge au Roi.
Vous trouverez dans l'écriture
Quelques traits de cette nature ;
Avec pareille autorité,
Vous pouvez tout en sûreté.
Aussitôt les pieux gavaches
Arborant casques et rondaches,
La rapière sur le côté,
Se dispersent de tout côté.
Le Capucin puant et sale,
Troussé comme une martingale,
Son casaquin lardé de fer
Ferait peur au diable d'enfer.
Au son de la tambourinade,
Cette cagote mascarade,
Marche en heurtant d'un air altier
Les saints Cantiques du Psautier.
Mayenne tout haut les approuve,
Quoique de grand fous il les trouve ;
Il fait ce que ces fainéants
Peuvent sur les petites gens,
Et combien un révérend Père
A de crédit chez le vulgaire.
En effet, nombre de pendards,
Réunis sous leurs étendards,
Ne songeant qu'à battre et qu'à mordre,
Mettent tout Paris en désordre.
La discorde entr'eux a choisi
Seize coquins en cramoisi,
Qui disputent avec Mayenne
De l'autorité souveraine.
Le Sire n'en est moult content ;
Il faut qu'il le souffre pourtant.
Ainsi sur l'onde la plus pure,
L'aquiron fait monter l'ordure.
Et tant qu'il plaît à l'aquilon,
On confond l'onde et le limon,
Pendant cet horrible tapage,
Thémis était toujours bien sage,
Et son Sénat l'était aussi,
Comme il l'est encore aujourd'hui.
De gens à pendre une cohorte
De son temple entoure la porte.
Bussy, maître en fait d'espadon,,
Et grand danseur de rigaudon,
Sous leur escorte entre d'emblée
Au beau milieu de l'assemblée.
O ça, dit-il, mes beaux Messieurs,
Qui faites ici les Seigneurs,
Et qui vous croyez par la robe,
Dignes de maîtriser le globe,
Il faut filer doux, s'il vous plaît,
Sinon je vous happe au collet.
La Bourgeoisie avis vous donne
Qu'elle ôte aux Capet la Couronne,
Pour raisons qu'elle vous dira,
Quand elle-même les saura.
Imitez Messieurs de Sorbonne
Qui trouvent la chose fort bonne,
Quoiqu'ils n'en sachent, les vieux fous,
Là-dessus guère plus que vous.
Le Sénat, à cette semonce,
Ne dit mot, pour toute réponse.
Bussy, de colère bouffi,
Mais de frayeur un peu transi,
Allons, dit-il, à la Bastille...
Alors Harlai fuit le soudrille,
Et chacun s'empresse à l'envi.
D'aller en prison avec lui.
Muse, redis-moi, je te prie,
Ces noms si chers à la Patrie.
De Thou, Molé, Scaron, Bayeul,
Monsieur Potier, Monsieur Longueuil,
Et tant d'autres que je nomme,
Vrais émules de ceux de Rome,
Sont traînés comme des goujats
Par cette race de Judas.
Mais, las ! quels sont les pauvres haires,
Dont on ferre les jugulaires ?
C'est vous Brisson, Tardis, l'Archet,
Qui mourez au bout d'un lacet.
Consolez-vous, dans nos chroniques,
Vous vivrez en lettres gothiques,
Et serez toujours reconnus
Pour de fort honnêtes pendus.
Du désordre enfin qu'elle excite,
La discorde se félicite.
Les Badauds, entr'eux désunis,
Contre leur Prince sont amis ;
Et tout est en guerre civile,
Tant au-dehors, que dans la ville.
FIN DU CHANT QUATRIEME
CHANT CINQUIEME
Cependant aux murs de Paris,
On faisait de larges pertuis.
Les seize, le Peuple et Mayenne,
Et les noirs chanteurs d'antienne,
Contre Henri braillaient en vain,
Le Sire allait toujours son train.
Sixte avait beau lancer son foudre,
C'était en l'air jeter sa poudre.
Les pauvres Badauds aux abois,
Attendaient les Arragonois
Qui, comme lâches truandailles,
Chemin faisant prenaient des cailles,
Et détroussaient tous les passants
Par manière de passe-temps,
Dont le vieux Philippe-Deuxième
Se réjouissait en lui-même.
Alors un Moine écervelé,
Ou peur mieux dire, ensorcelé,
Un scélérat, sous la tunique
De l'ordre de Saint Dominique,
Fit un coup qui sembla d'abord
Pour quelque temps changer le fort.
Clément, c'est ainsi que l'on nomme
Ce tant cruel et méchant homme ;
A son humble et dévot maintien,
On l'eût pris pour un bon Chrétien,
Et ce n'était, à le bien prendre,
Qu'un coquin à rouer ou pendre.
La discorde, sur ce gueux-là,
De son venin dégóbilla.
Un jour disant sa Kyrielle,
Il s'écria, plein d'un faux zèle
Mon doux Jésus, Libéra nos *****
De ces fripons de Huguenots :
Que ton bras vengeur extermine
Cette abominable vermine.
Ecrase, anéantis Valois
Et son cousin le Navarrois.
La discorde riant sous cape,
De voir qu'il mordait à la grappe,
Ne fit qu'un saut jusqu'en enfer,
Et fut supplier Lucifer
D'envoyer de son consistoire
Diable idoine en l'art oratoire,
Pour induire le pénaillon
A quelque mauvaise action.
Soudain de la sombre demeure,
Un Ange au teint couleur de beurre,
Dont le fanatisme est le nom,
Part et suit la vieille guenon.
Le malin esprit se déguise
Sous la taille et les traits de Guise,
Un casque sur son chef cornu,
Et dans la main un sabre nu.
Le sang lui sort de la bedaine
Comme l'eau sort d'une fontaine,
Des horions dont autrefois
Le pauvre Duc mourut à Blois !
Ce fut en pareil équipage
Que cet infernal personnage
Vint trouver le Père Clément
Faisant dodo paisiblement.
Il lui pince si fort l'oreille,
Qu'en sursaut le Moine s'éveille,
Reniant par F et par B,
Ainsi qu'un Chartier embourbé,
Jarni, si je prend ma sandale...
Tout doux, Père, point de scandale ;
Je viens à bon titre en ce lieu ,
Et je t'annonce de par Dieu
Qu'il te choisit pour occire,
Valois, ton Souverain, ton Sire.
Judith, pour son pays jadis,
Au lieu d'un en eût tué dix,
Prends exemple sur son courage,
Arme-toi d'une sainte rage,
Et coupant le sifflet au Roi,
Venge Rome, l'état et moi.
Qu'aucun scrupule, ne t'arrête,
Assassiner est acte honnête;
Acte méritoire et parfait,
Lorsque pour l'Eglise on le fait.
Hâte-toi donc pour son service,
De consommer ce sacrifice.
Dieu te donne ce coutelas
Qui vaut un sabre de Damas,
Et trancherait comme une plume
Un gros chêne, même une enclume.
Songe à bien faire ton devoir;
J'ai fait le mien : jusqu'au revoir.
Père Clément saisi du glaive,
Avec joie aussitôt se lève ;
Et d'un ton de Gargantua,
Dit fiat voluntas tua.
Que votre volonté soit faite ;
Puis endossant froc et jaquette,
Et tout le monacal harnois,
Le Béat sort en tapinois.
Une fanatique cohorte
Jusqu'à la galiote l'escorte :
Sous ses pas on jette des fleurs
De toutes sortes de couleurs ;
L'un veut toucher à son rosaire,
L'autre baise son scapulaire ;
On tiendrait même à grand honneur
De baiser son postérieur.
Mayenne, qui sait quelque chose
Du coup auquel on se dispose,
Fait semblant de n'en savoir sien,
Espérant de s'en trouver bien.
Cependant tandis que navigue
Ce méchant suppôt de la Ligue
Les seize font tourner le sas
Sur cet abominable cas.
Dans le fin fond d'une carrière,
Des hiboux asile ordinaire,
Et des fripons par-ci, par-là,
Leur synode affreux s'assembla.
A la lueur obscure et terne '
D'une très-antique lanterne,
On voit un quartier de moilon,
En manière de guéridon,
Tapissé de grosses limaces ;
C'est-là qu'après maintes grimaces
Dont aurait change de couleur
Le célèbre Richard-sans-peur,
Et dont toute femme avant terme,
Eût laissé répandre son germe ;
C'est-là, dis-je, qu'un vieux Rabin
Plus grec que Madame Jobin
Dans les secrets de la magie,
Des deux Rois plaça l'effigie ;
Le Juif ensuite ayant lâché
Son eau dans un pot ébréché,
Et balbutié de mémoire
Dix ou douze mot de grimoire,
Compissa tous les assistants
Qui n'en parurent moult contents :
Néanmoins ils surent se taire,
De peur de troubler le mystère.
Ayant donc dessus le museau
A chacun flanqué de son eau,
Et chacun composant sa garbe,
S'étant bien essuyé la barbe,
Subito le sorcier d'Hébreu
De tout son cœur rimant en Dieu,
Sur le pauvre Valois s'élance,
Ou du moins sur sa ressemblance ;
Et d'un canif, je ne sais où,
Lui fait un large et vilain trou.
Les seize suivent son exemple :
L'un lui donne un coup à la temple,
L'un à la panse, l'autre ailleurs ;
Et certains malplaisants ailleurs
De Bourbon barbouillent la mine
De ce qu'on nomme la plus fine.
Le maléfice opère enfin,
La lanterne tire à sa fin ;
On entend gronder le tonnerre,
Et l'on sent frissonner la terre ;
Mais chacun est bien ébahi,
Soudain paraît le Roi Henri
Avec sa barbe à l'escopette
Et son grand nez fait en trompette,
D'un gourdin les époussetant.
Au diable si pas un l'attend.
Ils courent comme des lièvres,
La mort peinte dessus les lèvres,
Et sans regarder derrière eux.
Se sauvent de cet antre affreux.
La Parque pourtant, vieille rosse,
De Valois, par un coup atroce,
Allait terminer le destin.
Clément, ce grand -fils de putain,
N'est pas plutôt hors de la barque,
Qu'il vole au logis du Monarque.
Il demande à lui dire un mot.
On lui fait croquer le marmot
Deux ou trois heures à la porte,
A ce que l'histoire; rapporte ;
Car il avait d'un vrai pendard
Et l'encolure et le regard.
A la fin cependant il entre ;
Et se prosternant sur le ventre,
Il tient au Roi ce beau discours,
Dont il interrompit le cours,
Quand il lui perfora la panse.
Voici ce que c'est en substance ;
« Sire, de la part du bon Dieu,
(Ceci n'est pas un conte bleu )
Je viens t'annoncer pour nouvelle
Que les Ligueurs en ont dans l'aile.
Les sieurs Potier et Villeroi,
Zélés serviteurs de leur Roi,
Travaillent de cul et de tête
A te remonter sur ta bête..
Harlay, du fond de sa prison,
Pour toi plus ardent qu'un tison,
Dit qu'il veut bien être un jean-fesse,
Et qu'en public même on le fesse,
Si dans quatre jours tu n'es pas
Réintégré dans tes Etats. :
Tiens, lis si tu peux cette lettre
Qu'en mes mains il vient de remettre. »
Ah ! dit Valois, faisant un saut
D'une demi-toise de haut,
Que n'ai je dans mon escarcelle
De quoi récompenser ton zèle ?
Mais par malheur pour le présent
Je n'ai pas un double vaillant.
Adonc d'une vue attentive,
Il lut la fatale missive,
Tout aussitôt le papelard
D'un coup de son tranchelard
Le pourfend depuis la culote
Jusqu'à deux doigts de l'épiglotte.
Le sang sort et coule à plein sceau
Comme coulerait un ruisseau.
Enfin, bref, pour tout dire en somme,
Sur le Moine, on saute, on l'assomme.
Le coquin , plus gai que Pierrot,
Rit en pouffant le dernier rot,
Comptant un jour grossir la bande
Des bienheureux de la légende,
Et qu'à la droite du bon Dieu ,
Il se verrait assis dans peu.
Déjà Valois à l'agonie ,
S'acheminait vers l'autre vie.
Ses gens autour de lui rangés,
Hurlaient comme des enragés,
Tretous d'une voix unanime,
Qui tout de bon, qui pour la frime.
Pendant ce concert ennuyeux,
Henri chiait aussi des yeux
Plus sincèrement que personne,
Quoiqu'il gagnât une Couronne.
Valois le voyant dans un coin,
Lui dit, torchez votre groin,
Et cessez, mon très-cher beau-frère,
De vous lamenter et de braire ;
Car brayez ou ne brayez pas,
Il faut que je passe le pas.
Grâce à ce possédé de Moine,
Je vous laisse mon patrimoine,
Dont vous n'eussiez sitôt tâté,
Si le maître j'en eusse été ;
Mais de bon cœur je vous le donne,
Puisqu'il faut que je l'abandonne.
Au reste, je vous avertis
Que vous ne l'aurez point gratis,
A moins qu'à Calvin , votre Apôtre,
Vous ne renonciez pour le nôtre,
Auquel cas vous aurez beau jeu,
Ou je suis qu'un sot. Adieu ;
Je vous souhaite bonne chance,
Et Dieu vous garde du mal de panse...
A ces mots il fit un gros pet,
Et c'est le dernier qu'il ait fait.
A peine l'ombre du Monarque
De Caron a passé la barque ,
Que ce ne sont plus dans Paris,
Que ripaillons, danses et ris ,
Que fagots allumés aux portes,
Que plaisirs de toutes les sortes.
Mais bientôt Monsieur de Bourbon
Va les faire changer de ton.
Il leur prépare une salade
Dont plus d'un sera bien malade,
Et dont maint preux Parisiens
Verront les champs élyséens.
Tous les chefs redoutant son ire,
Le reconnaissent pour leur Sire ,
Et promettent sous ses drapeaux
De ne point ménager leurs peaux.
FIN DU CHANT CINQUIEME
CHANT SIXIEME
En France c'est un vieux usage,
Quand des Rois manque le lignage,
Que les trois Etats en commun
S'assemblent pour en élire un.
Ainsi Capet le Bourgemestre,
Du trône français devint maître,
Lorsque Charlemagne et ses hoirs
Furent au royaume des loirs.
La Ligue aveugle et sacrilège
Veut profiter du privilège.
Des Villages et des Cités
Elle mande les Députés.
Le Lorrain se met en campagne,
Le nonce et l'envoyé d'Espagne ,
Les Nemours, les Prêtres aussi,
Tous gens d'honneur ; couci-couci.
Bref, cette troupe déloyale
S'assemble en la maison royale.
On n'y vit point ces assesseurs,
Des vieux pairs dignes successeurs,
Qui jadis Juges de la France,
Ne le sont plus qu'en apparence.
On n’y vit point pareillement
Aucun membre du Parlement.
Là, le nonce bien à son aise ,
Est mis le cul dans une chaise ;
Près de lui, fous un baldaquin ,
Mayenne tranche du faquin.
Déjà les partis, la cabale
Font un horrible bacchanale.
L'un entend que la royauté
Relève de la papauté ,
Et qu'à Paris on établisse
Ce grand tribunal d'injustice
Où la Moinaille fait valoir
Son abominable pouvoir,
Où pour la moindre peccadille,
Comme cochons les gens on grille;
En un mot, où l'Ibérien
Souvent est rissolé pour rien,
Celui-ci gagné par Philippe
Moyennant quelque bonne nippe,
Brigue et remue en sa faveur,
Quoiqu'il le haïsse en son cœur.
Mais de Mayenne jà l'Altesse
Sur le Trône avait une fesse,
Et bientôt, son noble fessier
Devait y être tout entier,
soudain Potier, le meilleur Juge
Qu'on ait vu depuis le déluge,
C'est-à-dire, depuis longtemps,
Paraît aux yeux des assistants.
Chacun garde un profond silence,
Et voici comme il les relance.
Vous mériteriez bien , marauds,
Qu'on vous rompît à tous les os ;
De quel droit, par la mordienne,
Pensez-vous couronner Mayenne ?
Je sais qu'il est bon Compagnon,,
Grand mangeur de soupe à l'oignon,
Grand voltigeur, bon géomètre,
Tirant des armes, comme un maître ;
Je sais de lui mille autres biens,
Mais les Bourbons sont-ils des chiens ?
Et Monsieur Henri-Quatrième
Est-il un pleutre, un Nicodème ?
Mayenne à semblable oraison
Faillit en perdre la raison :
Ses yeux étincelaient de rage.
Potier n'en perdit point courage,
Oui, Prince , dit-il fièrement,
Voilà quel est mon sentiment.
Si vous êtes par la naissance
Un des plus gros Messieurs de France
Faites-le voir en défendant
Le véritable Prétendant.
Ouais ! j'entends la clameur publique
J'entends crier à l'Hérétique ;
Les Eglisiers, le glaive en main...
Arrêtez race de Caïn,
Ou bien que le feu saint Antoine
Vous arde jusqu'au péritoine.
Quoi ! parce que le sieur Bourbon
Mange en Carême du jambon,
Vous osez lui chercher querelle ?
Parbleu, vous nous la donnez belle.
Eh ! que vous importe entre nous
Qu'il vive de chair ou de choux ?
Et qu'il croie ou non l'histoire
Vraie ou fausse du Purgatoire ?
Qu'importe qu'il tienne cachés,
Ou qu'il révèle ses péchés ?
Vous qui faites les bons Apôtres,
Révélez-vous toujours les vôtres ?
Et les poulets que vous gobez
Quelquefois les jours prohibés,
L'allez-vous dire au Consistoire ?
J'ai bien de la peine à la croire.
Laissez-donc, Messieurs les Cagots,
Laissez votre Maître en repos.
Pour n'être pas soumis à Rome,
Il n'en est pas moins galant homme ;
Vainement vous le ravalez,
Il vaut mieux que vous ne valez.
Après un discours de la sorte,
Chacun avait la gueule morte,
Et nul n'était assez hardi,
Pour lui donner un démenti.
Cependant un affreux tapage
Se fait entendre au voisinage ;
On crie aux armes, compagnons,
L'ennemi pille nos oignons.
Le bruit aigu de la trompette,
Quelques coups en l'air d'escopette,
Ne pronostiquent aux bourgeois
Que misère et que rabat-joies.
Tels l'aquilon et le tonnerre
Faisant charivari sur terre,
N'annoncent rien de bon aux gens
Quand ils approchent de leurs champs.
Or, cet horrible tintamarre
Annonçait le Roi de Navarre ,
Qui venait donner sur les doigts
Aux habitants du Badaudois.
Contre la coutume ordinaire,
Sans cortège , sans luminaire,
Il avait fait mettre uniment
Feu son beau-frère au monument,
Non que ce fût par avarice,
Des Bourbons ce n'est pas le vice ;
Mais il lui tardait d'être aux mains,
Pour immoler ses assassins.
Au bruit du branle qu'il prépare,
Chacun du Conseil se sépare.
Mayenne, armé d'un mousqueton,
Court du côté de Charenton,
Criant au Héros, et y avance
Avec ton habit d'ordonnance.
Paris, in illo tempore,
Était de fossés entouré,
Et bien moindre par son ampleur
Et par sa beauté, qu'à cette heure.
Ses murs, de bastions munis,
Faisaient la moue aux ennemis.
Bourbon faisant le saut de carpe,
Approche de la contrescarpe ;
Car il était de son métier,
Aussi bon sauteur que Restier.
Soudain à coups de carabine,
De part et d'autre on s'assassine.
Les canons bruyants et brutaux ,
Font perdre aux murs leurs piédestaux ;
Et sous les éclats de la bombe ,
Tout en capilotade tombe,
La mine aussi joue à son tour,
Le salpêtre se faisant jour
Vomit dans les airs, par centaines,
Soudards, Sergents et Capitaines.
Bourbon plus fier qu'un Hannibal,
Va là, comme il irait au bal.
Et ses Grenadiers en liesse,
Comme ils iraient à la kermesse.
Mornai dans ces chemins ardents,
Chemine se curant les dents.
Le canon lui souffle aux oreilles,
Cependant il baye aux corneilles.
On crie ah ! je me meurs, à moi ;
Il n'en est pas plus en émoi.
Un pétard au museau lui crève,
Mais à toute autre chose il rêve,
Et machinalement conduit,
Comme un barbet son maître il suit.
Au chemin couvert il pénètre,
Du parapet on se rend maître ;
Enfin on comble les fossés
De fagots et de trépassés.
Sur ces trépassés on s'avance ;
Et puis sur la brèche on s'élance.
Henri, comme un franc Grenadier
Lestement monte le premier.
Jà sur le haut de la muraille,
Au bout d'une vieille ferraille,
Il a déployé ses drapeaux,
Dont les Ligueurs sont bien penauds ;
Tous gagnaient aux pieds ; Mais Mayenne
En rimant en Dieu les ramène.
Ils soufflent au poil à Bourbon,
Et l'on s'étrille tout de bon.
La discorde, vieille bréhaigne,
Sur ces murs dans le sang se baigne.
Les Soudards se prenant au crin,
Disputent des mieux le terrain.
Dans la chaleur de la querelle,
Les coups tombent plus drus que grêle
Tantôt les gens du sieur Bourbon,
A fuir exercent le guibon ;
Tantôt revenant à la charge
Les Mayennois prennent le large.
Ce jour fut bien grand pour Henri
Et pour Monsieur Mayenne aussi.
L'un et l'autre en cette rencontre
De sa capacité fit montre.
Cependant quelque mille Anglais
Venant du Havre ou de Calais ,
Sous le jeune Essex arrivèrent,
Dont nos gens très bien se trouvèrent,
Et dont les Ligueurs sûrement
N'eurent pas grand contentement.
Essex les conduit à la brèche,
Où d'Aumale, d'humeur revêche,
Combattait comme un vrai lion,
Ainsi qu'Hector dans Ilion.
Tous deux pleins d'une ardeur égale,
Tous deux méchants comme la gale,
Coupant, brisant, taillant, rognant,
Mordant, pinçant, égratignant.
Enfin, après tant de tapage,
De quel côté fut l'avantage ?
Il fut, grâce à Dieu, de celui
Du sage et valeureux Henri,
Maugré Mons, Mayenne et d'Aumale,
Le rebelle effrayé détale,
Et le bon Roi le poursuivant,
A courir lui fait perdre vent.
Tel aux trousses d'un pauvre lièvre,
(Lequel alors n'est pas sans fièvre)
Un lévrier dans les guérets
Tire parti de ses jarrets.
Sel sur la colombe timide,
Un milan fond d'un vol rapide.
De même le Seigneur Henri
Chasse le Ligueur devant lui.
Mais Mayenne encore plus agile,
Dit, sauve qui peut, et fait gille.
Les voilà dans Paris rentrés,
Verrouillées et claquemurés.
Bourbon, dans l'ardeur qui l'emporte,
Pénètre jusques à la porte,
Holà ! des haches et du feu,
Et puis nous allons avoir beau jeu.
Tandis que ces mots ils profère,
Soudain du haut de l'atmosphère
Un fantôme vers lui descend
Non moins que Christophe grand,
Et malgré cette taille énorme,
N'ayant pourtant rien de difforme.
Tout doux s'écria-t-il, tout doux
L'ami, modère ton courroux.
Ne te fais-tu pas conscience
De vouloir perdre la chevance
De tes aïeux qui sont au Ciel ?
Fi, tu n'as point de naturel.
Que dis-je ? C'est ton héritage
Que tu vas réduire au pillage !
Où diable iras-tu-, pauvre oison,
Quand tu n'auras plus de gazon ?
Arrête... A cette remontrance,
Prononcée avec véhémence,-
Le soldat tremblant a recours
A Notre-Dame de bon secours.
Monsieur Henri tout au contraire,
Dit à l'esprit : allez vous faire,
Ou dites-nous de quel endroit
Vous arrivez, et de quel droit
Vous nous faites telle semonce ?
Il en reçut cette réponse.
Je suis le feu Roi Louis-Neuf,
Et tu n'es, toi, qu'un sot, qu'un bœuf.
Ignore-tu que dans la France
Je fus un Saint de conséquence ?
Ah ! c'est vous, s'écria Bourbon,
Qui de la peste ou du charbon,
Fûtes trépasser en Afrique,
Poussé d'un zèle évangélique ?
De vous voir je suis enchanté
A cause de la parenté.
Hé bien , mon honoré grand-père,
Peut-on savoir quel vent prospère,
Vous fait venir en ce bas lieu ?
J'y viens de la part du bon Dieu,
Dit saint Louis, et pour te dire
Que si tu veux être bon Sire,
Tu gagneras sur les Français,
Un jour à venir ton procès.
Le Héros, à ces mots, larmoie,
Non de tristesse, mais de joie.
Il balbutie entre ses dents
Un compliment de fort bon sens
Que personne ne put entendre ;
Trois fois les bras il voulut tendre,
Pour embrasser son cher Papa ,
Trois fois sa sainte ombre échappa,
Cependant du haut des murailles,
Sur le Prince on tire à mitrailles.
Grâces à la faveur du Saint,
Son pourpoint n'en est pas atteint.
Il lui promit une chandelle
Quatre fois plus grosse que celle
De la Notre-Dame d'Arras ,
Qui toujours brûle et ne fond pas.
Puis jetant l'œil fur la grand ‘Ville
Adieu, dit-il, race incivile,
Puisque rien ne peut te toucher,
Bonne nuit, je vais me coucher.
Adonc rengainant son olinde[1] ,
Sur sa rossinante[2] il se guinde ;
Et d'un air assez mécontent,
Vers Vincennes s'en va trottant.
Fin du chant sixième
CHANT SEPTIEME
La nuit ayant d'un voile sombre
Mis tout notre hémisphère à l'ombre,
Et tous dormant hors les jaloux,
Les chouettes et les filous,
Henri couché dessus la dure,
Sans matelas, sans couverture,
Dormait d'aussi grand appétit,
Que s'il eût été dans son lit.
Par ordre de Louis, les songes,
Non les débiteurs de mensonges,
Mais les honnêtes gens,
Sont autour de lui voltigeants
Et chuchotant à ses oreilles,
Lui promettent monts et merveilles.
Le saint en ce moment lui met
Sur le front son royal armet.
Mon fils, sois, dit-il, Roi de France ;
De mes hoirs comble l'espérance.
Règne sur le peuple badaud,
Et mène-le moi comme il faut.
Mais, souviens-toi que cet empire
Des dons de ton père est le pire.
Ce n'est point assez d'être Roi ,
Il te manque d'avoir la foi.
Id est, de croire au saint Pontife.
Tiens , chevauches cet hippogriffe,
Et suis-moi jusqu'en Paradis,
Je te ferai voir du pays.
A ces mots le couple s'envole
Plus vite que le fils d'Eole,
Lorsqu'en bel humeur ce vieux fou
Leur met la bride sur le cou.
Dans les espaces qu'ils parcourent,
Que de planètes les entourent!
Que d'étoiles, de tourbillons !
Ils les comptent par millions.
Que de sphères et de comètes,
Avec leurs longues cadenettes !
Que de mondes à l'infini !
Vertu-choux, Monsieur Cassini,
Et le compère Fontenelle
Nous en auraient conté de belles,
S'ils avaient pu voir de leurs yeux
Un spectacle si curieux !
Par-delà cet espace immense,
Le Très-Haut fait sa résidence.
C'est là que Bourbon suit Louis ;
Là sont formés tous ces esprits
Qui sur terre en nos corps séjournent ;
C'est là qu'à la fin ils retournent,
Quand nos pauvres individus ****
Par la Camarde sont tondus.
En ce séjours des milliers d'anges,
Du bon Dieu chantent les louanges.
C'est lui que chacun ici-bas
Croit connaître et ne connaît pas ;
Que sous cent formes on déguise,
Et que l'on adore à sa guise.
Du haut de son trône il entend
L'orgueilleux sectaire ergotant,
Le Parpaillon, le Papimane,
Le Musulman et le Brahmane,
Tous tâchant d'attraper les sots,
En leur débitant des fagots.
Devant lui la grande Faucheuse
Au teint livide, à la dent creuse,
Amène de tous les pays
Les mortels qu'elle a démolis.
Il les punit, ou les guerdonne,
Selon que justice l'ordonne.
Ventre saint gris, disait Bourbons
J'y perds mon latin tout de bon.
Quoi, si j'avais reçu la vie
Dans l'Afrique ou dans la Turquie ;
Si j'étais né Mahométan,
Je serais enfant de Satan ?
Et sans être autrement coupable,
Le bon Dieu m'enverrait au diable ?
Ma foi, je n'en crois rien du tout ;
C'est un conte à dormir debout.
Tandis qu'il parlait de la sorte,
Une voix extrêmement forte
Du pied du trône s'entendit ;
Et voici ce qu'elle lui dit.
"Paix-là, bavard impitoyable,
Ne faites point tant le capable ;
Et sans remuer le bourbier,
Ayez la foi du Charbonnier.
A l'instant un Zéphyr l'embrasse,
Et l'emporte à travers l'espace
Dans le séjour le plus affreux,
Qu'on puisse voir de ses deux yeux.
Ah ! quelle musique enrhumée !
Quels cris ! quels feux ! quelle fumée !
Jerni, nous étouffons ici.
Qu'est-ce, dit Bourbon, que ceci ?
O mon fils, à cette caverne,
Reconnaissez le triste Averne.
La le fripon et l'usurier,
L'avare, le banqueroutier,
L'envieux, l'ingrat, l'hypocrite,
Bouillent dans la même marmite.
Le Héros, parmi ces Esprits,
Au petit pas suivait Louis.
Ciel ! quel est ce coquin qui grille ;
Couvert d'une sainte mandille ?
Serait-ce pas Jacques Clément ?
Vraiment, oui, c'est ce garnement
Que Paris comme un Saint révère
Pour avoir occis mon beau-frère.
Ventre saint gris sur ce réchaud,
Il doit avoir le cul bien chaud.
Je vois un cureur de gadoue
Qui nous fait une laide moue.
Il fut, dit Louis, autrefois
Sur terre un des plus puissants Rois.
Ainsi l'Eternel humilie
Les potentats dont la folie
Fut de traiter leurs citoyens
Comme les valets font les chiens.
Remarques-tu ce cul-de-jatte
Qui s'allonge, baille et se gratte
En certains endroits indécents ?
C'est un de nos Rois fainéants,
Lequel ici pour son supplice,
Toujours veille et rêve a la suisse.
Regarde cet homme de bien
Qu'un diablotin fesse si bien,
Il a l'encolure d'un cuistre,
C'est pourtant un premier ministre.
Hélas ! mon Dieu ! que l'animal
A sa Patrie a fait de mal !
Dans ce triste et sombre habitacle,
Se trouvent aussi par milliers
Des gens qui font des vieux souliers,
D'ennuyeux conteurs de fleurettes
Et des débiteurs de gazettes :
De ces nouvellistes enfin,
Déguenillés, mourant de faim,
De ces hâbleurs passant leur vie
Dessous l'arbre de Cracovie[1].
Ah ! dit Henri, tout consterné,
Autant vaudrait n'être pas né ,
Qu'être mis au pouvoir des diables,
Pour des bagatelles semblables.
Ou bien Dieu devrait empêcher
Les hommes de jamais pécher.
Dieu, dit Louis, sur nos offenses;,
Mesure et borne ses vengeances.
Ne crois pas que... Mais sur ce point,
Motus. Ne nous étendons point.
Je te dirais bien quelque chose,
Que pour raison dire je n'ose,
Et qu'aisément tu comprendras,
Si tu n'es bête à vingt carats.
Soudain l'un et l'autre s'avance
Vers le séjour de l'innocence.
Ce n'est plus un lieux ténébreux,
C'en est un des plus lumineux
Et des plus charmants que l'on voie.
La jubilation, la joie
Et tous les plaisirs innocents
Y font litière de tous temps.
Bref, c'est un pays de cocagne
où Clovis avec Charlemagne,
Reposant leurs individus, *****
Se font des contes saugrenus.
Là le très-sage Louis Douze,
Entr'eux assis sur la pelouse,
Leur en dit de Roger-bontemps,
Des meilleurs et des plus plaisants.
Son Ministre, Monsieur d'Amboise,
Qui rime si bien à framboise,
A ses pieds plus gai que pinson,
Se chatouille l'entre-fesson.
Là sont tous ceux qui pour la Patrie
Ne tinrent compte de leur vie ;
La Tremouille , Montmorency,
Clisson, de Foix, Guesclin aussi ;
Jeanne d'Arc, la brave Pucelle,
Et Bayard à côté d'icelle.
Ces Bienheureux, dit saint Louis,
Sur terre comme toi jadis,
Ont fait mainte belle prouesse ;
En outre ils allaient à la Messe.
Prends exemple sur eux, vas-y.
Tandis qu'il lui parlait ainsi,
Des vieux destins, l'ancien Louvre,
A ses regards subito s'ouvre.
Sur un Autel un gros bouquin
Couvert d'un méchant maroquin,
A peu près semblable au grimoire,
De l'avenir contient l'histoire.
Vois, dit Louis, dans ce séjour ,
Vois ceux qui doivent naître un jour.
En voici dont la destinée
Serà paisible et fortunée,
Ceux-là dans la calamité,
Réduits à toute extrémité,
Sans ressource, sans sou, ni maille ,
Se verront mourir sur la paille.
Ceux-ci seront des chenapans,
Ceux-là de fort honnêtes gens.
En voici qui se feront pendre,
Quoi qu'ils fassent pour s'en défendre.
En voilà qui l'éviteront,
Et pourtant le mériteront.
Mais, viens, Dieu t'accorde la grâce
De lorgner ta future race.
Ecce primo, monsieur ton fils,
Le treizième du nom Louis ;
Il ne vaudra jamais son père,
Ni son successeur, je l'espère.
Qui sont, interrompit Henri,
Ces deux églisiers que voici,
Tenant leur morgue au pied du trône ?
Une garde les environne ;
L'un et l'autre ont du souverain
Les apparences et le train.
Ils le sont, dit Louis, sans l'être ;
En tutelle ils tiennent leur maître,
Et, sauve la comparaison,
Le mènent comme un pauvre oison.
Le premier, Richelieu s'appelle,
Des politiques le modèle.
L'autre se nomme Mazarin,
De son métier grand tabarin[2],
Plus dangereux qu'une vipère.
Ah ! bon jour, Colbert, mon compère ;
Tu seras moins en crédit qu'eux,
Mais, Dieu merci, tu vaudras mieux.
Grâces à tes soins, dans la France,
Les choux seront en abondance,
Ce qui dans la soupe est fort bon,
Avec la couenne de jambon.
Pour le coup, le voilà, le sire
Dont si beau doit être l'empire.
Les lieux qu'éclairent le soleil
Ne verront jamais son pareil.
Il aura la taille élégante,
Et dansera bien la courante.
Brave il sera comme un César,
Et galant comme un Hamilcar.
Il aimera les arts quelconques
Plus qu'aucun Prince qui soit oncques
Après lui, je vois maints Bourbon
Qui seront de preux compagnons.
Je vois le Grand Condé paraître.
Jerni, quel homme ce doit être !
Turenne pourtant que voici,
Ne sera pas moins grand que lui.
Catinat dans la même classe
Remplira dignement sa place.
Celui-ci qui dessine un plan,
C'est le Maréchal de Vauban,
Qui bâtira des citadelles
Des plus fortes et des plus belles.
Luxembourg fera diablement
Bisquer l'Anglais et l'Allemand.
Vois-tu ce vaillant Capitaine ?
C'est le rival du Prince Eugène,
Villars, qui doit du margouillis
Tirer un jour ton petit-fils.
Vois donc le Duc de Bourgogne
Que la mortifère carogne
Nous ravira dans son printemps.
Arrête, vieille gaupe, attends,
Pour notre bien laisse-le au monde,
Ou que le diable te confonde !
Mais, ô jours de calamité !
Presque toute la parenté,
Tombant sous sa griffe maudite,
Sera mise en un même gite.
Un pauvre petit enfançon,
D'icelle faible rejeton,
Deviendra la douce espérance
Du trône ébranlé de la France.
Son peuple moult le chérira,
Parce qu'il le méritera.
De ce jeune et gentil monarque
Ce héros conduira la barque,
Et la conduira tout des mieux,
Au grand regret des envieux.
La mordicante calomnie
Voudrait en vain noircir sa vie ;
Des autres princes il sera
Le phénix, le nec plus ultra.
Quel spectacle frappe ma vue !
Dit Bourbon : ai-je la berlue ?
D'Espagnols nombre de soudards,
Réunis sous nos étendards,
Aux Germains déclarent la guerre.
Tout change, dit Louis, sur terre.
De l'ambitieux Charles-Quint
Enfin le lignage est éteint.
L'Espagne nous demande un maître
C'est un de nos hoirs qui va l'être.
Philippe... A cet objet, Henri
Saute d'aise comme un cabri.
Halte-là, beau sauteur de neige !
Qui t'a donné le privilège
De gambader en paradis ?
Pauvre nigaud ! tu t'ébaudis
Sans savoir ce qu'à ta lignée
Réserve dame Destinée.
Hélas ! peut-être nos neveux
Se prendront un jour aux cheveux !
En ce moment, Bourbon vit trouble
Comme un ivrogne qui voit double.
L'huis des destins se referma,
Et le paradis s'éclipsa.
Cependant de Titon la gouge,
Au teint jaune, vermeil ou rouge,
Montrait son petit nez friand
Vers les portes de l'Orient ;
La nuit, achevant sa carrière,
Lui tournait son vilain derrière,
Et les songes, tristes ou gais,
Bavards, discrets, hâbleurs ou vrais,
Sur les pas de la moricaude,
S'en allaient à notre antipode.
Finalement, monsieur Bourbon
S'éveilla frais comme un gardon.
Il parut devant son armée
Tout autre qu'à l'accoutumée.
Son front était plus lumineux
Que n'est celui d'un bienheureux,
Quand il apparaît face à face
A quelqu'un en état de grâce.
Fin du chant septième
CHANT HUITIEME
Les états, tristes et confus,
Étaient lors diablement camus.
Au seul nom du roi, les pagnotes
Faisaient caca dans leurs culottes.
Mayenne, à leur tête pourtant,
Tranche toujours de l'important.
Au conseil de guerre il assemble
Les principaux ligueurs ensemble,
Les Lorrains, les Nemours, Brissac,
La Châtre, Saint-Paul, Canillac,
Avec l'ex-capucin Joyeuse,
Du troupeau la brebis galeuse.
Ils sont armés jusques aux dents.
Tudieu, comme ils font les fendants !
Chacun d'eux jure, crie et sacre
Plus correctement qu'aucun fiacre,
Quoique tout fiacre ou charretier
Soit grand jureur de son métier.
Or donc, tandis que les bélîtres
Incongrûment cassent les vitres,
La Discorde, en beau berlingo,
Paraît à leurs yeux tout de go.
Vivat ! dit-elle, de la joie :
Voici renfort qu'on nous envoie.
Allez, prenez la balle au bond,
Jouez des couteaux tout de bon
D'Aumale, tête sans cervelle,
Enchanté de cette nouvelle,
Prend ses deux jambes à son cou,
Et court... Voltaire ne dit où :
Ce fut, je crois, dans la campagne.
Il vit ce secours de l'Espagne
Depuis si longtemps demandé,
Depuis si longtemps retardé.
Mayenne, sur sa haridelle,
Vole vers eux à tire d'aile,
Ou plutôt a tire de nerf,
Aussi diligemment qu'un cerf.
Près de ces lieux où nos monarques
Vont gîter quand il plaît aux Parques,
Où l'on voit un si beau trésor
De breloques de similor,
Où de tartes et de talmouses
On se barbouille les frelimouses,
Près de Saint-Denis, en un mot,
Des Espagnols paraissait l'ost.
Leurs harnais, leurs fers, leurs rondelles
Étaient plus brillants que chandelles,
Si que les yeux on en clignait,
Quand fixement on les voyait.
Le peuple au-devant vient en foule,
Qui des Porcherons, qui du Roule,
Qui de la Cité, qui d'ailleurs,
Pour voir ces braves batailleurs.
D'Egmont paraissait à leur tête,
Piaffant comme un fils de fête.
Son ingénieur eut le méchef
De se voir abattre le chef
Sur un échafaud, à Bruxelles,
Pour être entré dans la querelle
Du Flamand, son concitoyen,
Opprimé par l'Ibérien.
Ce fils, qui ne méritait guère
D'être issu d'un si digne père,
Accabla son pays de maux,
Et vint au secours des badauds.
Sa majesté le roi Philippe
(Dont le souvenir me constipe,
Bien loin que j'en sois dévoyé)
A Paris l'avait envoyé
Remettre le cœur à Mayenne,
Lequel était en grande peine ;
Et Mayenne, avec tel renfort,
Crut bonnement être assez fort
Pour frotter le roi de Navarre ;
Mais, tarare pompon, tarare ;
Le pauvre nigaud qu'il était,
Sur ce sans son hôte comptait.
Aux bords de l'Iton et de l'Eure,
Dont le poisson se mange au beurre,
Et a toute autre sauce aussi,
Est un paysage fleuri,
Où, grâce aux soins de la nature,
Les chardons viennent sans culture ;
Ce qui fait que partout ailleurs
Il n'est pas de baudets meilleurs.
Les bourgeois de ce lieu champêtre
En paix leurs bêtes menaient paître,
Et jouant du tambourinet,
Prenaient le temps comme il venait.
Soudain la double armée arrive
Sur cette tant charmante rive.
Les eaux de l'Eure et de l'Iton,
De peur en eurent le frisson:
Les bergers bagage plièrent,
Et dans les buissons se cachèrent ;
Leurs femmes en firent autant,
Leurs génitures emportant.
Hôtes de ces lieux pleins de charmes,
Qui n'aimez pas le bruit des armes,
N'imputez pas au roi Henri
Ce malplaisant charivari,
Il ne l'aime pas plus qu'un autre ;
S'il combat, c'est pour le bien vôtre.
Laissez-le faire, et vous verrez
Comment vous vous en trouverez.
Sur une jument plus fringante
Que ne fut oncques Rossinante,
Bourbon, galopant au grand trot,
Parcourt tous les rangs de son ost.
On voyait près de sa personne
Les mignons chéris de Bellone
Monsieur d'Aumont, qui, sous cinq rois,
Avait endossé le harnois ;
Biron, de qui la renommée
Flairait comme baume à l'armée;
Et son jeune fils, qui, depuis...
Mais ne troublons pas l'eau du puits.
Sully, Nangis, Crillon le brave,
Tous trois sableurs de vin de Grave,
Anti-ligueurs déterminés,
Et fameux abatteurs de nez.
Henri, vicomte de Turenne,
Qui, depuis, d'une souveraine[*]
Eut l'heur de manier à nu
Le corps blanquet, lisse et dodu.
Au milieu d'eux, comme un saint George,
Le galant Essex se rengorge ;
Son casque brillait de carats,
Pour la valeur de trois ducats,
Riche présent dont sa princesse
Avait honoré sa tendresse.
Plus loin, soit d'aval ou d'amont,
On voit la Trémouille et Clermont,
Le malheureux Nesle et Fenquières,
Avec le chanceux Lesdiguières,
Et d'Ailli, pour qui ce jour fut
Un jour qui bien fort lui déplut.
Tous ces vivants, brûlants de mordre,
Près du roi rangés en bel ordre,
Aspiraient après le signal,
Afin de commencer le bal.
Mayenne, en cet instant critique,
Avait un tantin la colique.
Sans doute il sentait son malheur ;
Mais contre fortune bon cœur:
Il se chatouille, le beau sire,
Comme on dit, pour se faire rire,
Et fait à l'ennemi l'affront
De lui montrer saint Jean-le-Rond ;
Id est ****, son gros vilain postère,
Acte digne de vitupère.
D'Egmont cependant trépignait,
Et de rage ses doigts rongeait,
Jurant un peu plus que mordienne
Contre la lenteur de Mayenne.
Tel un jeune et fringant roussin,
Que le maquignon tient en main,
Sentant la jument poulinière,
Bat du pied, lève la crinière,
Et contre son frein se raidit,
Et d'impatience bondit :
Tel d'Egmont, et plus vif encore
Que cette fougueuse pécore,
Brûle d'exercer son damas
Sur quelque tête ou quelque bras.
Il ne sait pas que la Camarde
Poire molle point ne lui garde,
Et que dans la plaine d'Ivri,
Ce sera bientôt fait de lui.
Vers les ligueurs enfin s'approche
Bourbon au menton de galoche ;
Et s'adressant à ses soudards,
Bons compagnons et grands paillards:
« Vous êtes tretous nés en France,
Grâces à la toute-puissance,
Et j'ai l'heur d'être votre roi;
Voilà l'ennemi, suivez-moi.
Surtout donnez-vous bien de garde
De perdre des yeux ma cocarde ;
Ventre-saint-gris, on la verra
Dans les lieux où chaud il fera. »
A cette guerrière harangue,
Qui n'usa pas beaucoup sa langue,
Et partant ne fit point bâiller,
Chacun grille de chamailler.
Lors s'élancent en même temps
Des deux partis les combattants.
Ainsi l'on voit deux fiers bouledogues
Avec des yeux ardents et rogues,
L'un contre l'autre se ruer,
Et de la dent s'évertuer.
A coups de mousquets et de brettes,
Et non à coups de baïonnettes,
Qui d'usage encore n'étaient pas,
Force soudards sont mis à bas.
Avec la faux de malencontre,
La vilaine partout se montre.
Le frère est par le frère occis,
Et le père l'est par le fils.
A travers les feux et les flammes
Au milieu des tranchantes lames,
Sur les mourants, sur les blessés,
Sur quantité de trépassés,
Le preux Henri pousse sa rosse,
Aussi fier qu'un bourgeois d'Écosse.
Mornay, plus vite que le pas,
Le suit, et ne le quitte pas.
Ainsi jadis de Télémaque,
Dauphin du royaume d'Ithaque,
Mentor suivit le beau destin ;
Ainsi saint Roch et son mâtin,
Grands amis en ce monde nôtre,
Ne trimaient jamais l'un sans l'autre.
Mornay donc, aux trousses du roi,
Fait trotter son vieux palefroi,
Et pare avec sa colismarde
Les coups qu'à son maître l'on darde ;
Mais le bon seigneur ne veut pas
Du sang humain souiller son bras.
Déjà Nemours, fuyant Turenne,
Suivi des siens, gagnait la plaine ;
Et devant le brave d'Ailli
Les ligueurs détalaient aussi.
Soudain un jeune mousquetaire,
Autant brave que téméraire,
Sur l'œil enfonçant son bonnet,
Dans sa course l'arrêta net.
Lors l'un sur l'autre ils s'abandonnent,
Et Dieu sait comme ils espadonnent.
Plusieurs estocades de poids
Font mainte brèche à leurs pavois,
Plusieurs leur frisent les oreilles,
Ils les esquivent à merveilles.
Leurs flamberges à deux fendants
Ont déjà quantité de dents :
Avec tant d'ardeur ils remuent,
Que comme des porcs ils en suent.
A la parfin, d'Ailli le vieux
Détache un coup si furieux
Sur les vertèbres du jeune homme,
Qu'il l'étend par terre et l'assomme.
Par sa chute son bonnet choit,
Si qu'à découvert on le voit.
D'Ailli le baie à son visage.
O désespoir ! ô cris ! ô rage !
Le quidam qu'à mort il a mis,
Hélas! mon Dieu ! c'est son cher fils,
Il veut de cette même brette
Donner de l'air à sa luette,
C'est-à-dire se dépêcher :
On a soin de l'en empêcher.
Le beau coup que je viens de faire,
Ce dit-il, se prenant à braire !
Je ne verrai plus mon fanfan.
Quittons ces lieux, allons-nous-en !
Et je veux qu'on me bistourne,
Si jamais ici je retourne.
Mais quoi ? quel bruit ! quel cliquetis !
Quel tapage ! quel abatis !
Tous les ligueurs prennent la fuite.
Qui diable les mène si vite ?
C'est Biron, le gentil cadet,
Qui pique après eux son bidet.
Arrête, dit d'Aumale, arrête !
Alte à la queue ! alte à la tête...
De par Mahom, où courez-vous ?
Etes-vous donc devenus fous ?
Vous , fuir ! vous, soudards de Mayenne !
Allons, point de faiblesse humaine.
Suivez d'Aumale, ventrebleu,
A travers la flamme et le feu.
Lors Beauveau, suivi de Fosseuse,
Et Saint-Paul du moine Joyeuse,
Rassemblent sous leurs étendards
Un nombre infini de pendards.
L'on se chamaille de plus belle,
Biron ne bat plus que d'une aile ;
En vain il soutient le torrent,
Il voit Parabère expirant ;
Et parmi les morts, pêle-mêle,
Clermont, Feuquière, Angenne, Nêle
Lui-même, de coups transpercé,
Allait être fait trépassé...
C'était ainsi, mon brave sire,
Que tu devais te faire occire.
Bientôt le compère Bourbon
Sut tout ce que risquait Biron.
Il le chérissait, non en prince,
Dont l'amitié souvent est mince,
Non en potentat, non en roi,
Tenant toujours son quant à moi ;
Mais en ami tendre et sincère,
Ainsi qu'un souverain n'est guère.
A grand'erre il trotte vers lui.
Bien à point te vient tel appui,
Pauvre Biron; car la Camarde
T'allait, d'un coup de hallebarde,
Flanquer dans le triste manoir
De Pluton au visage noir.
Henri fait, dans cette escarmouche,
Quantité d'abreuvoirs à mouche,
Et sauve Biron du trépas :
Puisse-t-il ne l'oublier pas !
Soudain la Discorde assassine,
Sonnant sa terrible buccine,
Souffle aux ligueurs de son poison,
Non pour un peu, mais à foison.
Monsieur le chevalier d'Aumale,
Cadet à la pate brutale,
Par ses fanfares animé,
Ou, si l'on veut, envenimé,
Contre le roi Henri se rue.
Des ligueurs vient une cohue
Qui lui souffle au poil de très-près.
Tels les brifauts, dans les forêts,
Excités par le cor de chasse,
Tiennent au eu d'un loup vorace,
Et, malgré lui, malgré ses dents,
Vont toujours leur train le mordant ;
De même, le preux Henri-quatre,
Lequel est bien las de se battre,
Est assailli de toutes parts
Par deux ou trois mille houssards.
Saint Louis, du Louvre céleste,
Voyant son péril manifeste,
Le rend si fort, que feu Samson
N'était rien en comparaison.
Quel carnage ! vierge Marie !
Qu'il fit une horrible tuerie !
Tandis qu'il exerçait son bras
A mettre des membres a bas,
Egmont, hardi comme un pandoure,
Se fiant trop a sa bravoure,
Osa provoquer son courroux :
Acte assurément des plus fous.
C'est avec moi, dit-il, compère,
Qu'il faut jouer du cimeterre.
Comme il lui faisait tel défi,
D'un visage d'orgueil bouffi,
Adonc le foudre de Dieu gronde,
Dont tremble la machine ronde.
Il crut sottement, le benêt,
Qu'en sa faveur le ciel tonnait.
A Bourbon un coup il assène,
Lequel effleure sa bedaine :
Ou en vit sortir sur-le-champ
Environ plein un dé de sang.
Le roi, voyant sa peau rougie
De cette grande hémorragie,
Se jette sur son ennemi,
Chamaillant en diable et demi.
Il fait si bien qu'il le renverse,
Et de sa lame lui traverse
Le ventricule, et par ce trou
Son âme fut je ne sais où.
De l'Espagnol cette nouvelle
Démonte aussitôt la cervelle.
Chef et soudards, chacun s'enfuit ;
Le ligueur effrayé les suit.
Toute l'armée est en déroute ;
Au diable qui lors a la goutte.
Le fleuve d'Eure en avala
Si tant, qu'il en dégobilla.
Mayenne, en cette triste affaire,
Ne perd point la Judiciaire.
D'Aumale est près de lui, rimant
Les gros mots scandaleusement.
Tout est flambé, mon capitaine,
Dit-il, notre perte est certaine.
Ventrebleu, mourons. Animal,
Le remède est pis que le mal,
Lui répond son cousin Mayenne ;
C'est de l'onguent miton-mitaine.
Crois-moi, vivons jusqu'à la fin ;
Va plutôt, avec Bois-Dauphin,
De nos gens épars, vite et preste,
Rassembler le peu qui nous reste ;
Et courons avec ces débris
Nous claquemurer dans Paris.
Cela dit, vers Lutèce il tire,
Sans que d'Aumale ose rien dire.
Cependant le ligueur vaincu
Du roi vainqueur baisait le cul,
Hoc est, implorait sa clémence
Dans la plus humble contenance.
Henri de son œil chassieux
Lui jette un regard gracieux.
Ne crains rien, dit-il, de mon ire ;
Sois libre, mais choisis un sire
Entre le sieur Mayenne et moi,
Sans barguigner, explique-toi.
A ces mots, chacun se déclare
En faveur du roi de Navarre ;
Pour seul maître on le reconnaît.
On jette en l'air toque et bonnet :
On chante, on danse, on fait ripaille,
On met sur eu mainte futaille.
La courrière des vérités,
Tout ainsi que des faussetés :
La dame aux cent petits yeux louches,
Aux cent oreilles, aux cent bouches,
Annonçait à cor et a cri
Les exploits du papa Henri.
Le bruit en donna la colique
Au sacré chef apostolique ;
L'Espagne fort s'en affligea,
Et le Nord moult s'en gobergea.
Ô badauds, ô ligueurs, ô prêtres,
Ô porte-soutanes, ô traîtres,
Vous fûtes en foule aux saints lieux
Offrir vos inutiles vœux !
Mayenne , plein d'espoir encore,
Au peuple la pilule dore :
Il a beau faire, il ne saurait
De ses malheurs faire un secret.
La Discorde en frémit de rage.
Verrai-je périr mon ouvrage ?
Se dit-elle, sera-t-il dit
Que j'ai fait du mal à crédit !
Verrai-je Bourbon roi de France
En dépit de ma révérence ?
Maugrebleu ! rendons-le amoureux
De quelque femelle aux beaux yeux
Elle dit, et soudain s'envole
Dans une vieille cariole,
Et va de ce pas au séjour
Des doux plaisirs et de l'amour.
Fin du chant huitième
CHANT NEUVIEME
Sur les bords heureux d'Idalie,
Lieux plus charmants que l'Italie,
Est un palais fort respecté
A cause de sa vétusté.
Là les campagnes, les prairies,
Sont éternellement fleuries-:
On y mange en toutes saisons
Des petits pois et des melons,,
Force gibier, force marée
Et autre semblable denrée.
De plus en ce joli séjour,
Il est dimanche chaque jour,
Monseigneur le Duc de Cythère
Y fait sa demeure ordinaire,
Ayant sans cesse à ses côtés
Un régiment de voluptés.
Rien n'est plus riant que son temple,
Lorsque de loin en le contemple,
Mais malheur aux yeux indiscrets
Qui s'en approchent de trop près ;
Ce n'est plus qu'un affreux spectacle,
Qu'un triste et funeste habitacle
Des plaintes, des soins, des soucis,
Et de tous les maux réunis.
La sombre et maigre jalousie
A la face pâle et moisie,
L'air inquiet, donne la main
Au soupçon son frère germain,
La haine et sa sœur la colère,
Chacun au poing une rapière,
La précédent en blasphémant,
Et reniant horriblement.
La malice d'un ris perfide,
Flatte cette race homicide.
Le remord pleurant comme un veau,
Les fuit se torchant le museau.
C'est là qu'amour fait tant des siennes
Contre les Chrétiens et Chrétiennes ;
C'est là que ce fils de putain,
Vrai crocodile, vrai lutin,
Exerce ses poignantes flèches
Sur les cœurs tendres ou revêches.
Avec ses frères, le paillard
Jouait lors à colin-maillard.
Soudain la déesse Discorde,
L'échine ceinte d'une corde
De deux grossissimes serpents,
Longs de six pieds et trois empans,
Pénètre jusqu'au sanctuaire
De ce petit dieu volontaire.
A quoi diable t'amuses-tu,
Lui dit-elle, cogne-fétu?
Ignores-tu qu'un certain brave,
Chez les Français tous deux nous brave;
Qu'il te traite de Mirmidon,
Et se moque de ton brandon ;
Qu'il me traite, moi, de carogne
Plus puante qu'une charogne ?
De par Dieu, mes naseaux sont nets,
Et ne sont rien moins que punais,
Et je soutiens que mon haleine
Exhale odeur de marjolaine ;
Je crois que mon gousset aussi
N'a rien qui sente le ranci.
D'où diable donc veut-il, l'infâme,
Que puisse puer une femme ?
Mais ce n'est point là le grief
Qui le plus me brouille le chef.
Ce paladin, ce méchant homme,
Que Henri quatrième on nomme,
Veut me couper la jupe au cul.
Mon frère, le souffriras-tu ?
Lance-lui dans le diaphragme
De tes feux au moins une dragme ;
Que sous tes chaînes le vaurien
Gémisse comme un galérien ;
Qu'aux pieds de quelque martingale,
Ainsi qu'Hercule à ceux d'Omphale,
Le pleutre fasse le câlin,
Et file du chanvre ou du lin;
Qu'aux trousses d'une gourgandine,
Par monts et par vaux il chemine,
Comme fit Antoine autrefois,
Laissant un très-beau bien bourgeois
Pour courir la calembredaine
Avec sa belle Égyptienne.
Va, mon frère, va, mon mignon,
Perfore-le jusqu'au rognon,
Et que de ce Jean de Nivelle,
Ton poison gâte la cervelle.
Ainsi la salope parlait,
Et ses yeux de dogue roulait.
L'Amour cependant se dodine
Dans un beau fauteuil d'étamine,
D'un coup de tête répondant,
Comme ferait un président.
Bref, il prend ses flèches dorées,
Par la pointe bien acérées,
Puis fendant le ciel cristallin,
Vers la France il vole soudain.
Il fixe, en allant, ses prunelles
Sur les châteaux des Dardanelles,
Voisins du pays phrygien,
Que ses feux ont réduit à rien.
Il voit Venise et la Sicile,
Le gouffre de Charybde et Scyle ;
J'avais oublié l'Archipel ;
Il voit aussi le mont Gibel.
Il voit d'un côté l'Italie,
Et de l'autre la Barbarie ;
Et puis la moderne Sidon,
Où vécut la reine Didon.
Ensuite à grand'erre il avance,
Et passe les champs de Provence.
Près de l'Eure il découvre Anet.
Ah! le charmant séjour que c'est !
C'est là qu'une gentefemelle[1],
Au beau cuir, à belle mamelle,
Avec Henri deux, ce dit-on,
Secouait jupe et hoqueton.
Enfin le seigneur de Cythère
Auprès d'Ivry met pied à terre.
Le roi, près d'aller autre part,
Braconnait avant son départ.
Mille jeunes sauteurs de haie,
De grand appétit, d'humeur gaie,
Arpentaient avec lui les champs,
Prenant cailles aux chiens couchants.
Le fils de madame Cyprine
Se gratte le bas de l'échine,
En voyant le papa Bourbon
Exercer ainsi le jambon.
Il huche la brigade folle
Des prisonniers du vieux Éole.
Soudain des nuages épais
Rendent le ciel d'un beau noir jais.
On entend gronder sur sa tête
Le précurseur de la tempête :
Les éclairs à maint bon bourgeois
Font faire maint signe de croix.
Un diable de vent de galerne
Souffle au cul des gens et les berne.
Il pleut tant, qu'on n'a jamais vu
Depuis Noé pleuvoir plus dru.
Henri, sans guêtres, sans capote,
Patrouille tout seul dans la crotte.
Alors monseigneur Cupidon,
Secouant son fatal brandon,
Par une lueur imprévue
Du monarque frappe la vue.
Le pauvret, sans songer à mal,
Suit à tout hasard le fanal,
Comme quelquefois il arrive,
Ou peut arriver, que l'on suive,
En voyageant ces feux follets,
Qui sont, je crois, des farfadets,
Et font aux gens, tête première,
Faire le saut dans la rivière.
Depuis peu de jours, en ces lieux,
Un jeune tendron aux beaux yeux,
Dans un vieux manoir de campagne,
Faisait des châteaux en Espagne.
Elle attendait son géniteur,
Qui, du grand Henri serviteur,
Occupait je ne sais quel grade
Dans un régiment de salade.
De ce jeune et joli tendron
D'Estrée était le propre nom.
Du beau Pâris la gourgandine
N'eût jamais aussi bonne mine ;
Et celle qu'on prit pour Vénus
Sur les bords du fleuve Cydnus,
La sœur du grand roi Ptolemée,
Pour sa beauté tant renommée,
Auprès d'elle, en comparaison,
N'était qu'une franche guenon.
Elle était dans cet âge tendre
Où toute femme est bonne à prendre.
Son cœur était tout neuf encor,
Et valait bien dix louis d'or.
Le fils de dame Cythérée,
Qui veut surprendre la d'Estrée
D'un enfant emprunte les traits,
Et sans flambeau, carquois ni traits,
Vient lui parler en cette sorte.
On a vu, dit-il, à la porte,
Mouillé, crotté jusques au cul,
Celui qui Mayenne a vaincu ;
C'est un vivant de belle garbe,
Portant moustache à croc et barbe,
Avec un demi-pied de nez
En corbin des mieux contournés.
A la séduisante peinture
De cette agréable figure,
Entre autre chose, à la longueur
De ce nez de législateur,
La belle de plaisir se gratte ;
Elle se requinque à la hâte,
Met ses souliers de maroquin,
Endosse son beau casaquin ;
Prend ses manchettes à dentelle,
Et ses bas gris de filoselle ;
Et puis, calamistrée ainsi,
Elle vole au devant de lui.
Comme les yeux il écarquille
En voyant femme si gentille !
La peste ! qu'il est enchanté !
De s'être à tel prix tant crotté !
Bonjour, sire, ce lui dit-elle,
Bonjour, ce répond-il, la belle.
Vous portez-vous bien aujourd'hui ?
Oui, sire, assez bien, Dieu merci.
J'en ai, certes, une joie extrême.
Car j'ai tant et si fort couru,
Que je suis diablement recru ;
Mais quand j'aurai dormi, j'espère
Que je ne m'en sentirai guère.
Ainsi tous deux s'entretenant,
Et sous l'aisselle se tenant,
A la maison ils arrivèrent,
Où tête à tête ils se gavèrent
D'une très-ample soupe aux choux,
Ce que Henri trouva bien doux ;
Car c'était, dit-on, le potage
Lequel il aimait davantage ;
Aussi le sire tant en prit,
Qu'il fut sur le pot toute nuit,
D'une terrible diarrhée.
Par bonheur pour lui d'Estrée
Entendant le bruit que faisait
Son intestin qui se vidait,
Hucha sa grosse chambrière,
Qui fut lui donner un clystère,
Dont il se trouva, le matin,
Gai comme Pierrot, et très-sain.
Cependant l'Amour leur ébrèche
Le cœur d'un même coup de flèche,
Ils sont tous deux amoureux fous,
Ni plus ni moins que des matous :
Bref, ils sont unis l'un à l'autre
Comme deux grains de patenôtre,
Ou, si le terme n'est pas crû,
Comme la chemise et le cul.
Quelquefois pourtant, en son âme,
Henri donne au diable la dame,
Brûlant de retourner au camp ;
Mais ainsi qu'un homme au carcan,
Le petit dieu trouble-cervelle
Le retient aux chausses d'icelle.
Tandis donc qu'il passe en ces lieux
Son temps à faire les doux yeux,
A le chercher chacun s'empresse :
Ses soudards font battre la caisse,
Promettant de rémunérer
Ceux qui pourront le déterrer.
Saint-Louis, son archi-grand-père,
Que sa conduite désespère,
A son secours envoie enfin
Du paradis un Séraphin.
Il fut chercher un homme probe,
Non sous cette cafarde robe
Qui cache tant de fainéants
Révérés par les innocents ;
Il le chercha sur cette terre
Où de Henri les gens de guerre,
En l'attendant, sablaient leur vin
A la santé de Jean Calvin.
Le bon ange rend son message
Au sieur Mornay, comme au plus sage ;
Car il l'était plus que Platon,
Marc-Aurèle et monsieur Caton.
Ma foi, c'était un honnête homme,
N'en déplaise aux cagots de Rome,
Qui valait au moins cent ducats,
Quoique de la vache à Colas
Il avait l'âme franche et ronde
Plus que qui que ce fut au monde,
Rare et sublime qualité
En un homme de qualité.
En outre il savait très-bien lire,
Tailler des plumes et écrire ;
Il haïssait les courtisans,
Les maltôtiers et partisans,
Les gourgandines et le reste,
Autant que la lèpre ou la peste.
Conduit par cet ange de Dieu,
Mornay part et vole en ce lieu
Où Bourbon, auprès de sa mie,
A ses dettes ne songe mie ;
Ce qui, certes, n'est beau ni bien
Pour une personne de bien ;
Mais à cela que peut-il faire ?
Las! il est pris le pauvre hère ;
Et ses yeux sont si fascinés,
Qu'il y voit moins que son nez.
L'Amour découvre avec colère
Mornay, le prudent émissaire.
Il lui lance sur le jabot
Un effroyable javelot,
Qui contre sa jaque-de-maille
Se brise comme un brin de paille.
Au fond d'un jardin potager
(Non, c'était au fond d'un verger),
Sur un gazon de verdurette,
D'Estrée, avec Henri seulette,
Jouait à mille jeux divers,
Et voyait la feuille à l'envers.
De petits Amours une bande
Dansait auprès la sarabande,
Et, leur faisant maints tours malins,
Riaient comme des gobelins.
Tandis qu'ainsi Bourbon, en joie,
Prend la grande et la petite oie,
La Discorde vole à Paris
Rassembler tous ses ennemis.
Enfin il voit son cher Pilade,
Qui derrière une palissade
Se glissait comme un écureuil ;
Il rougit jusqu'au blanc de l'œil.
L'un de l'autre, en cette occurrence,
Ils semblaient craindre la présence.
Mornay l'aborde tristement,
Sans lui faire aucun compliment.
Bourbon, en homme de génie,
Sent ce que cela signifie.
Foin de l'amour, dit-il, ami,
Ma foi, je m'étais endormi
Comme un Jean... dans cette demeure,
Décampons-en, et tout à l'heure.
La belle vient d'aller pisser,
Profitons, pour nous éclipser,
Du temps que nous laisse la cagne,
Et preste, gagnons la campagne.
Optime, s'écria Mornay,
C'est agir en homme bien né :
L'amour est une bonne chose
Quand on en prend légère dose ;
Mais en prendre plus que son sou,
Franchement, c'est être trop fou.
Il dit, et le roi de Navarre
A faire gille se prépare.
La d'Estrée apprend le complot
Par son valet Pierre ou Guillot.
Il me fuit donc, le grippe-sauce,
Et compagnie ainsi me fausse !
S'écria-t-elle en s'arrachant
Les cheveux, et l'œil se pochant,
Se meurtrissant toute la face,
Et son teton en calebasse.
Ah! si la mort je ne craignais,
Tout à l'heure je me pendrais.
Tandis que cette pauvre amante
En cette sorte se lamente,
Mornay, plus ferme qu'un recors,
Tient Bourbon par le justaucorps,
Et lui fait, jusqu'à perdre haleine,
Jouer du jarret dans la plaine.
La vertu trime devant eux ;
Et le petit dieu maupiteux,
Amour, avec sa courte honte,
Reprend le chemin d'Amathonte.
Fin du chant neuvième.
Retranscription par Julien Maudoux