Benway : Et pourquoi pas un trou de néant tous usages ?… Je ne vous ai jamais raconté l’histoire du type qui avait dressé son trou du cul à parler ? Son abdomen se trémoussait de haut en bas, lâchant des mots comme des pets, vous voyez la coupure ? Je n’ai jamais rien d’entendu d’aussi étrange… Ce cul avait une sorte de basse fréquence viscérale, on captait ça de plein fouet, comme une envie de vous savez quoi… comprenez-moi, comme quand le gros côlon vous flanque des coups de coude, ça vous fait tout froid à l’intérieur, il ne vous reste qu’à ôter la bonde… Eh bien, ce boniment culier vous tapait au même endroit – une sorte de gargouillement gras et collant, un bruit qu’on pouvant sentir

Le festin nu est un livre de l'américain William S. Burroughs ( 1914-1997 ).

Burroughs faisait “partie” de la beat generation si l’on définit la beat generation comme un groupe d’écrivains amis ( Kerouac, Ginsberg… ) et non pas comme un courant littéraire.

Dans les année 50, Burroughs, toxicomane jusqu’à l’os à cette époque, se réfugia à Tanger après avoir tué sa femme en jouant à Guillaume Tell avec une arme à feu. Là, il vivait dans l’absorption continue d’héroïne, cocaïne, opium, codéine et tous les dérivés qu’il pouvait dénicher. De 1954 à 1956, il écrivit dans cet état halluciné tout un tas de notes. Qui, une fois réarrangées avec l’aide de Ginsberg et Kerouac en usant parfois du cut-up ( transposition littéraire du collage en peinture : il découpe des morceaux de textes, les mélange et les recolle ) forment le Festin Nu.

Objet chaotique, labyrinthique, un Voyage de Gulliver au pays de la drogue porté par un style débridé, déchaîné, sans limite. La souffrance du manque ( le singe ), la dictature de la drogue, l’angoisse, des orgies glauques, marquent profondément ces divagations qui bouffent le lecteur et le font entrer dans l’Interzone, contrée sans espoir.

 Nous sommes pratiquement à fond de came. Or, nous voilà paumés dans un patelin de vapes maigres, réduits à carburer au sirop pour la toux. On dégueule le sirop et on reprend la route, roule que je te roule, avec le vent du petit printemps qui souffle par tous les trous du tacot et glace nos corps grelottants et suants et malades ( ce rhume à froid qui te prend toujours quand tu es en carence )… On roule à travers un paysage pelé, tatous crevés sur la route, vautours qui survolent les marécages et les troncs de cyprès décapités, motels aux murs de bois synthétique avec chauffage au gaz et couvertures de coton rose.

Loin d’un trip esthétisant ou larmoyant, on est face à une exposition clinique et incohérente au travers d’errances de ville en ville à la recherche de came, de la description discontinue, floue, barrée, de l’Interzone et de ses occupants. Un cauchemar qui dissèque l’angoisse et la déchéance aussi intime que globale.

 Les changements physiques furent lents au début, puis tout se précipita, explosa en détritus noirâtres qui coulaient au fond de sa chair amollie, effaçant toute forme humaine… Dans la nuit absolue de la réclusion, la bouche et les yeux ne font plus qu'un organe qui déchiquette l'air de ses dents transparentes... mais les organes perdent toute constance, qu'il s'agisse de leur emplacement ou de leur fonction... des organes sexuels apparaissent un peu partout... des anus jaillissent, s'ouvrent pour déféquer puis se referment... l'organisme tout entier change de texture et de couleur, variations allotropiques réglées au dixième de seconde...